17 septembre 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-18.884

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2020:C200842

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 septembre 2020




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 842 F-D

Pourvoi n° U 19-18.884






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 SEPTEMBRE 2020

M. I... T..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° U 19-18.884 contre l'arrêt rendu le 4 avril 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Maunand, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. T..., de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Allianz IARD, et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Maunand, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 avril 2019), M. T... a, par déclaration du 9 février 2017, interjeté appel du jugement d'un conseil de prud'hommes rendu le 17 novembre 2016 dans le litige l'opposant à la société Allianz IARD.

2. M. T... a notifié ses conclusions à l'intimée le 14 septembre 2017.

3. Le 12 octobre 2017, le président de la chambre saisie a fixé un calendrier au visa de l'article 905 du code de procédure civile.

4. La société Allianz IARD a, par conclusions d'incident du 13 novembre 2017, demandé au conseiller de la mise en état de prononcer la caducité de l'appel, l'intimé répliquant le 19 décembre 2017.

5. Le président de la chambre a, par ordonnance du 10 septembre 2018, annulé le calendrier fixé au visa de l'article 905 du code de procédure civile et désigné un conseiller de la mise en état au visa de l'article 907 du code de procédure civile.

6. Par ordonnance du 14 novembre 2018, le conseiller de la mise en état a déclaré l'appel caduc sur le fondement de l'article 908 du code de procédure civile.

Sur le moyen relevé d'office

7. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 905 et 914 du code de procédure civile dans leur rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :

8. Selon ces textes, dès qu'une affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre saisie en cas d'urgence ou si l'affaire est en état d'être jugée, le conseiller de la mise en état est dessaisi.

9. Pour dire la déclaration d'appel caduque en application de l'article 908 du code de procédure civile, l'arrêt retient que l'affaire n'a pas initialement été orientée en circuit court, cette orientation ayant été décidée par le président de la chambre 6-4 le 12 octobre 2017 et consécutivement à la demande formulée le 15 septembre 2017 par l'appelant. Il ajoute qu'à défaut d'orientation de l'affaire en circuit court, antérieurement à cette date conformément aux dispositions de l'article 905 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable au litige, le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile était applicable à l'instance de sorte que M. T... disposait d'un délai de trois mois pour conclure à compter de sa déclaration d'appel à peine de caducité de celle-ci relevée d'office, que son appel ayant été interjeté le 9 février 2017, il devait déposer ses conclusions au plus tard le 9 mai 2017. Elle constate que ses conclusions ont été notifiées au greffe le 14 septembre 2017, soit hors délai.

10. Il précise que l'orientation en circuit court n'a eu aucun effet sur le délai dans lequel M. T... pouvait conclure, ce calendrier ayant fixé seulement la clôture, la date de plaidoirie et le délai pour conclure de l'intimé, et qu'en tout état de cause, le délai fixé par l'article 908 du code de procédure civile qui était expiré, ne pouvait pas être remis en cause de manière rétroactive.

11. Il en déduit que la désignation d'un conseiller de la mise en état par ordonnance du 10 septembre 2018 dans le cadre des dispositions de l'article 907, n'a pas eu pour effet de modifier le délai dans lequel M. T... devait conclure et de rendre applicable à cet égard à une instance en circuit court les dispositions de l'article 908 du code de procédure civile.

12. En statuant ainsi, alors que la demande de caducité formée par conclusions du 13 novembre 2017 était irrecevable pour avoir été présentée postérieurement à l'orientation de l'affaire en circuit abrégé, le 12 octobre 2017, et sans que de nouvelles conclusions d'incident de caducité aient été remises lors de la désignation, le 10 septembre 2018, d'un conseiller de la mise en état, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Allianz IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Allianz IARD et la condamne à payer à M. T... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du dix-sept septembre deux mille vingt, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. T...

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR prononcé la caducité de la déclaration d'appel ;

AUX MOTIFS QUE, d'une part, contrairement à ce que soutient M. T..., l'affaire n'a pas initialement été orientée en circuit court, cette orientation ayant été décidée par le président de la chambre 6-4 le 12 octobre 2017 et consécutivement à sa demande formulée le 15 septembre 2017 ; qu'à défaut d'orientation de l'affaire en circuit court antérieurement à cette date conformément aux dispositions de l'article 905 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable au litige, le délai disposé par l'article 908 du code de procédure civile était applicable à l'instance de sorte que M. T... disposait d'un délai de trois mois pour conclure à compter de sa déclaration d'appel à peine de caducité de celle-ci relevée d'office ; que son appel ayant été interjeté le 9 février 2017, il devait déposer ses conclusions au plus tard le 9 mai 2017 ; que ses conclusions ont été notifiées au greffe le 14 septembre 2017 soit hors délai ; que, d'autre part, l'orientation en circuit court n'a eu aucun effet sur le délai dans lequel M. T... pouvait conclure puisque ce calendrier a fixé seulement la clôture, la date de plaidoirie et le délai pour conclure de l'intimé ; qu'en tout état de cause, le délai fixé par l'article 908 du code de procédure civile qui était expiré, ne pouvait pas être remis en cause de manière rétroactive ; que dès lors, la désignation d'un conseiller de la mise en état par ordonnance du 10 septembre 2018 dans le cadre des dispositions de l'article 907, n'a pas eu pour effet de modifier le délai dans lequel M. T... devait conclure et de rendre applicable à cet égard à une instance en circuit court les dispositions de l'article 908 du code de procédure civile ; qu'enfin, M. T... n'explicite pas en quoi la fixation d'un calendrier de procédure en circuit court d'office ou à la demande d'une partie contreviendrait aux dispositions de l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard de l'exigence d'un procès équitable et du nécessaire respect des droits de la défense ; que cette possibilité résulte des termes de l'article 905 du code de procédure civile et il est suffisamment démontré par la chronologie de la demande de M. T... de fixation de l'affaire en circuit court et de la réponse apportée par le président de la chambre 6-4, qu'il a été satisfait à la demande de l'appelant à ce titre ; qu'en conséquence, la cour retient que M. T... aurait dû conclure au plus tard le 9 mai 2017 et qu'ayant conclu le 14 septembre 2017, sa déclaration d'appel est caduque ; qu'il convient donc de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 14 novembre 2018 ;

ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QU'il résulte des pièces de la procédure que l'appel a bien été formé avant l'expiration du délai d'un mois prévu aux articles 538 du code de procédure civile et R. 1461-1 du code du travail ; qu'en revanche, M. T... n'a pas conclu avant l'expiration du délai de trois mois, prévu à l'article 908 du code de procédure civile, lequel courait à compter de la déclaration d'appel et expirait le 9 mai 2017 ; que la déclaration d'appel ne saurait échapper à la caducité, laquelle était acquise et pouvait être relevée d'office dès cette date, du fait que le dossier a été orienté en circuit court de l'article 905 ; que cette orientation ne pouvait en effet faire échec à la caducité qui était déjà acquise et, depuis, la procédure a été régularisée par la désignation expresse d'une conseiller de la mise en état dans le cadre des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile ;

1°) ALORS QUE les dispositions des articles 908 à 911 du code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures fixées selon les dispositions de l'article 905 du même code ; qu'en retenant, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel, que M. T... n'avait pas conclu dans le délai de trois mois à compter de sa déclaration d'appel, quand elle relevait elle-même que le président de la chambre avait arrêté un « calendrier de circuit court (en collégiale) (Article 905 du code de procédure civile) », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 905, 907 et 908 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE lorsque l'affaire semble présenter un caractère d'urgence ou être en état d'être jugée, le président de la chambre saisie, d'office ou à la demande d'une partie, fixe à bref délai l'audience à laquelle elle sera appelée ; qu'en retenant, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel, que « le délai fixé par l'article 908 du code de procédure civile[,] qui était expiré, ne pouvait pas être remis en cause de manière rétroactive » par l'ordonnance du 12 octobre 2017 ayant fixé le calendrier de circuit court (arrêt, p. 3, § 4), et en subordonnant ainsi l'éviction de l'article 908 du code de procédure civile à la condition que la fixation de l'affaire à bref délai intervienne dans le délai de trois mois prévu par le premier texte, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et violé les articles 905, 907 et 908 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QU'en toute hypothèse, les dispositions des articles 908 à 911 du code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures fixées selon les dispositions de l'article 905 du même code ; qu'en retenant, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel, que « l'affaire n'a[vait] pas initialement été orientée en circuit court, cette orientation ayant été décidée par le président de la chambre 6-4 le 12 octobre 2017 » (arrêt, p. 3, § 3), quand tant l'absence de désignation d'un conseiller de la mise en état avant l'« ordonnance d'orientation » du 10 septembre 2018 que la fixation d'un « calendrier de circuit court », le 12 octobre 2017, par le président de la chambre, révélaient la décision antérieure, même non formalisée, par laquelle ce magistrat avait orienté l'affaire à bref délai, en sorte que l'appelant n'était pas soumis à l'obligation de conclure dans les trois mois de la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé les articles 905, 907 et 908 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QU'en toute hypothèse, le droit d'accès à un tribunal se trouve atteint lorsque la réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente ; qu'en prononçant la caducité de la déclaration d'appel, faute pour M. T... d'avoir conclu dans les trois mois de celle-ci, cependant que, dans ce délai, aucun conseiller de la mise en état n'avait été désigné ni aucune décision d'orientation en circuit long communiquée, que le président de chambre avait ensuite arrêté un calendrier de circuit court et que d'autres chambres du même pôle de la même cour d'appel, tout comme la cour d'appel de Versailles, orientent systématiquement à bref délai l'appel des jugements de conseils de prud'hommes, ce dont il résulte que l'appelant pouvait légitimement croire, tout comme le président de chambre lui-même, que la fixation à bref délai était acquise dès l'origine, ou devait à tout le moins pouvoir se fier à l'apparence ainsi créée d'une telle orientation, en sorte que le prononcé de la caducité de la déclaration d'appel procédait d'un formalisme excessif portant atteinte, dans sa substance même, au droit d'accès au juge en privant M. T... d'un examen au fond, par la juridiction du second degré, de ses prétentions, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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