2 février 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-11.411

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2017:C200158

Titres et sommaires

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Préjudice moral - Préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés - Préjudice non distinct - Portée

Le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés est inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l'origine desdites souffrances. Encourt en conséquence la cassation, l'arrêt qui indemnise séparément le préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine, qu'il qualifie de préjudice d'angoisse de mort imminente

INDEMNISATION DES VICTIMES D'INFRACTION - Préjudice - Réparation - Préjudice moral - Préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés - Préjudice non distinct - Portée

Texte de la décision

CIV. 2

MF

COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 février 2017


Cassation partielle


Mme FLISE, président


Arrêt n° 158 F-P+B

Pourvoi n° J 16-11.411

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [T].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 23 mai 2016.

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de l'association JCLT, ès qualités.
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 23 mai 2016.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 1],

contre l'arrêt rendu le 4 août 2015 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [L] [T], domicilié chez association JCLT, [Adresse 2],

2°/ à l'association JCLT, dont le siège est [Adresse 2], prise en qualité d'administrateur ad hoc des mineurs [Q], [M], [X] et [W] [T],

défendeurs à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 4 janvier 2017, où étaient présents : Mme Flise, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, M. Savatier, conseiller doyen, Mme Parchemal, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de M. [T] et de l'association JCLT, ès qualités, l'avis de M. Lavigne, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Vu l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

Attendu que, pour allouer aux victimes au titre de leur action successorale diverses indemnités réparant notamment, d'une part, les souffrances endurées, d'autre part, un préjudice de "mort imminente", l'arrêt énonce que les souffrances physiques et morales endurées par la victime entre le début de l'agression commise à son encontre et sa mort, constituent un préjudice distinct de celui de l'angoisse de mort imminente qu'elle a éprouvée ; que le fait d'indemniser séparément ces préjudices ne revient pas à une double évaluation ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l'origine desdites souffrances, le préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine, qualifié dans l'arrêt de préjudice d'angoisse de mort imminente, ne peut être indemnisé séparément, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice et violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il alloue à l'association JCLT, en qualité d'administrateur ad hoc des mineurs [Q] [T], [M] [T], [X] [T] et [W] [T], et à [L] [T], en leur qualité d'héritiers de [G] [T], les sommes de 20 000 euros au titre des souffrances endurées et 30 000 euros au titre du préjudice lié à l'angoisse d'une mort imminente subi par [G] [T], l'arrêt rendu le 4 août 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR alloué à l'association JCLT en qualité d'administrateur ad hoc des mineurs [Q] [T], [M] [T], [X] [T] et [W] [T], en leur qualité d'héritiers de [G] [T], ainsi qu'à [L] [T], les sommes de 20.000 euros au titre des souffrances endurées et de 30.000 euros au titre du préjudice lié à l'angoisse d'une mort imminente subi par M. [G] [T] ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE les souffrances physiques et morales endurées par la victime entre le début de l'agression commise à son encontre et sa mort, constituent un préjudice distinct de celui de l'angoisse de mort imminente qu'elle a éprouvée ; que le fait d'indemniser séparément ces préjudices ne revient pas à une double évaluation ; qu'en l'espèce c'est par des motifs adoptés par la Cour que la CIVI a estimé établi le préjudice subi par Monsieur [G] [T] au titre des souffrances endurées d'une part et du préjudice de mort imminente d'autre part ; qu'il convient toutefois d'infirmer la décision rendue en ce qu'elle a évalué ces postes de préjudices à respectivement 10.000 € et 15.000 € ; que les souffrances endurées par Monsieur [G] [T], telles que résultant des multiples lésions décrites par le rapport d'autopsie, justifient de chiffrer le poste des souffrances endurées à 20.000 € ; que l'agonie vécue par Monsieur [G] [T], telle qu'elle résulte également des conclusions du médecin légiste, la victime ayant subi des difficultés respiratoires majeures pendant une dizaine de minutes au cours desquelles elle a eu largement le temps de prendre conscience de l'imminence de sa mort, justifie de chiffrer ce poste à 30.000 € ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE le droit à réparation des souffrances physiques et morales endurées par la victime entre l'accident et son décès se transmet à ses héritiers ; que l'indemnisation des souffrances endurées répare non seulement les souffrances physiques mais également les souffrances morales découlant de l'accident ou de l'agression ; que cependant, il est admis qu'un préjudice distinct de vie abrégée, qualifié en l'espèce par l'association JCLT de « préjudice moral », caractérisé par la conscience et l'angoisse qu'a la victime de sa mort imminente, peut donner lieu à une indemnisation distincte de celle des souffrances physiques et morales endurées par la victime du fait des blessures ; qu'en l'espèce, il résulte du rapport d'autopsie médico-légale que Monsieur [T] présentait des marques ecchymotiques de strangulation sur le cou à sa face antérieur ; qu'au niveau de l'os hyoïde, existait deux fractures ; que l'expert concluait que la mort avait été causée par insuffisance respiratoire prolongée et estimait un phénomène agonique d'au moins une dizaine de minutes ; qu'il observait également de multiples lésions de violence immédiatement antérieures à la strangulation ou quasiment concomitantes ; qu'il notait également, au niveau des membres supérieurs, une luxation de l'épaule gauche ; que la victime a non seulement souffert physiquement et moralement du fait de l'attaque subie et des blessures résultant des coups et de la strangulation, mais elle a de surcroît agonisé pendant plus de 10 minutes, s'est vu mourir, et à ce titre, a subi une souffrance psychique intense liée à l'angoisse d'une mort imminente, qu'il convient également d'indemniser ;

ALORS QUE le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice des souffrances endurées, il ne peut être indemnisé séparément ; qu'en indemnisant à la fois « les souffrances physiques et morales endurées par la victime entre le début de l'agression commise à son encontre et sa mort » et un préjudice moral, jugé « distinct », tiré « de l'angoisse de mort imminente qu'elle a éprouvée » (arrêt, p. 7, § 3), la Cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice et violé l'article 706-3 du Code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime.

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