7 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-14.453

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00755

Texte de la décision

COMM.

COUR DE CASSATION



FB


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 7 novembre 2023




RENVOI


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 755 F-D

Pourvoi n° K 23-14.453







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 NOVEMBRE 2023

Par mémoire spécial présenté le 7 août 2023, la société Marissol, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formulé deux questions prioritaires de constitutionnalité (n° 1120) à l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2022 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), dans une instance l'opposant à la Communauté de communes de Mimizan, établissement public de coopération intercommunale, dont le siège est [Adresse 1].

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Alt, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Marissol, de la SCP Boullez, avocat de la Communauté de communes de Mimizan, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 octobre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Alt, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Par délibération du 28 septembre 2016, la communauté de communes de Mimizan a décidé d'assujettir, pour l'année 2017, les emplacements dans les aires de camping-cars, les terrains de camping et les terrains de caravanage à la taxe de séjour forfaitaire, dont l'assiette et le tarif sont régis par les articles L. 2333-40 à L. 2333-42 du code général des collectivités territoriale, et les autres hébergements à titre onéreux à la taxe de séjour, dont l'assiette et le tarif sont régis par les articles L. 2333-29 à L. 2333-32 du même code.

2. Le 3 août 2017, la communauté de communes a adressé à la société Marissol, qui exploite un terrain de camping sur son territoire, une facture correspondant à la taxe de séjour forfaitaire due au titre de la période du 15 juin au 1er octobre 2017. Le 21 décembre 2017, la communauté de communes a adressé à cette société un avis de sommes à payer au titre de cette même taxe.

3. Les 3 octobre 2017 et 22 février 2018, la société Marissol a assigné la communauté de communes devant un tribunal judiciaire aux fins, notamment, d'annulation du titre exécutoire du 21 décembre 2017 ainsi que de décharge et de dégrèvement des sommes correspondantes. Par jugement du 26 février 2020, confirmé par arrêt du 20 septembre 2022, le tribunal, après avoir annulé le titre exécutoire du 21 décembre 2017, a condamné la société Marissol à verser à la communauté de communes une certaine somme au titre du règlement complémentaire de la taxe de séjour forfaitaire pour l'année 2017.

Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité

4. A l'occasion du pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2022 par la cour d'appel de Pau, la société Marissol a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

« 1°/ L'article L. 2333-26 du code général des collectivités territoriales, en tant qu'il permet à l'autorité administrative d'assujettir simultanément certaines "natures" et "catégories" d'hébergement à la taxe de séjour dite "au réel" et les autres à la taxe de séjour forfaitaire, est-il contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ?

2°/ L'article L. 2333-41 du code général des collectivités territoriales, ensemble l'article L. 2333-26 du même code, en tant qu'ils permettent à l'autorité administrative de mettre à la charge des structures et établissements soumis à la taxe de séjour forfaitaire le versement de sommes au regard de leur capacité d'accueil, c'est-à-dire indépendamment de leur fréquentation réelle et, par suite, des recettes effectivement perçues et de leurs capacités contributives, sont-ils contraires à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »

Examen des questions prioritaires de constitutionnalité

5. Aux termes de l'article L. 2333-26 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1918, applicable ratione temporis, une taxe de séjour ou une taxe de séjour forfaitaire peut être instituée par délibération prise par le conseil municipal de certaines communes. Le III de cet article dispose que le conseil municipal ne peut appliquer qu'un seul de ces deux régimes d'imposition à chaque nature d'hébergement à titre onéreux proposées dans la commune et qu'il ne peut pas exempter une nature ou une catégorie d'hébergement à titre onéreux de ce régime d'imposition.

6. Aux termes de l'article L. 2333-29 de ce code, la taxe de séjour est établie sur les personnes qui ne sont pas domiciliées dans la commune et qui n'y possèdent pas de résidence à raison de laquelle elles sont redevables de la taxe d'habitation. Selon l'article L. 2333-31 du même code, en sont exemptés les personnes mineures, les titulaires d'un contrat de travail saisonnier employés dans la commune, les personnes bénéficiant d'un hébergement d'urgence ou d'un relogement temporaire et les personnes qui occupent des locaux dont le loyer est inférieur à un montant que le conseil municipal détermine. Selon l'article L. 2333-40 dudit code, la taxe de séjour forfaitaire est due par les logeurs, les hôteliers et les propriétaires qui hébergent les personnes mentionnées à l'article L. 2333-29 à titre onéreux ainsi que par les autres intermédiaires lorsque ces personnes reçoivent le montant des loyers qui leur sont dus.

7. Il résulte de l'article R. 2333-44 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue du décret n° 2015-970 du 31 juillet 2015, applicable ratione temporis, que les natures d'hébergement mentionnées au III de l'article L. 2333-26 sont : les palaces ; les hôtels de tourisme ; les résidences de tourisme ; les meublés de tourisme ; les villages de vacances ; les chambres d'hôtes ; les emplacements dans les aires de camping-cars et les parcs de stationnement touristiques ; les terrains de camping, les terrains de caravanage ainsi que tout autre terrain d'hébergement de plein air ; les ports de plaisance.

8. Aux termes de l'article L. 2333-30 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, le tarif de la taxe de séjour est fixé, pour chaque nature et pour chaque catégorie d'hébergement, par personne et par nuitée de séjour. Aux termes de l'article L. 2333-41 de ce code, dans sa rédaction issue de la même loi, le tarif de la taxe de séjour forfaitaire est fixé, pour chaque nature et pour chaque catégorie d'hébergement, par unité de capacité d'accueil et par nuitée. Les hôtels de tourisme et les terrains de camping sont distingués en fonction de leur nombre d'étoiles.

9. Il découle de ce qui précède que la taxe de séjour et la taxe de séjour forfaitaire constituent deux impositions différentes n'ayant pas les mêmes redevables ni les mêmes modalités d'établissement.

10. Les dispositions contestées sont, dans leur version issue de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, applicables au litige, qui concerne la contestation, par la société Marissol, de la taxe de séjour forfaitaire mise à sa charge pour la période du 15 juin au 15 octobre 2017.

11. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

12. La première question présente un caractère sérieux au regard du principe d'égalité devant la loi, lequel ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet qu'il établit.

13. Or les structures et les établissements destinés à accueillir des touristes, situés sur le territoire d'une commune ou d'un établissement public de coopération intercommunale peuvent, suivant la décision du conseil municipal, soit se voir assujettir à la taxe de séjour forfaitaire, soit voir leur clientèle être assujettie à la taxe de séjour. Cette différence de traitement, qui est de nature à renchérir le coût de l'hébergement de certaines de ces structures et établissements selon le choix opéré par le conseil municipal, ne paraît pas nécessairement correspondre à une différence de situation ni répondre à un motif d'intérêt général.

14. La seconde question présente un caractère sérieux au regard de l'exigence de prise en compte des facultés contributives. Cette exigence, qui résulte du principe d'égalité devant les charges publiques, implique qu'en principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une imposition, celle-ci impose de choisir une assiette de l'impôt qui soit en rapport avec les capacités contributives du contribuable (Cons. cons., 29 décembre 2009, n° 2009-599 DC, Loi de finances pour 2010, considérant 39).

15. Or l'article L. 2333-41 du code général des collectivités territoriales, qui permet au conseil municipal de mettre à la charge des structures et établissements soumis à la taxe de séjour forfaitaire le versement de sommes au regard de leur capacité d'accueil, indépendamment de leur fréquentation réelle, pourrait être de nature à soumettre ces derniers à une imposition qui ne soit pas en rapport avec leurs capacités contributives.

16. En conséquence, il y a lieu de renvoyer les deux questions au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille vingt-trois.

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