25 avril 2024
Tribunal judiciaire de Marseille
RG n° 23/01478

GNAL SEC SOC: CPAM

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 2]


JUGEMENT N°24/01220 du 25 Avril 2024

Numéro de recours: N° RG 23/01478 - N° Portalis DBW3-W-B7H-3MDU

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
S.A.S. [6]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me ADRIEN ROUX DIT BUISSON, avocat au barreau de LYON


c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM 13
*
[Adresse 3]
comparante en personne




DÉBATS : À l'audience publique du 22 Février 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : GOSSELIN Patrick, Vice-Président

Assesseurs : COMPTE Geoffrey
MURRU Jean-Philippe

L’agent du greffe lors des débats : LAINE Aurélie,

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 25 Avril 2024


NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort


Recours n° 23-01478


EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [Y] [V], salarié de la société [7], aux droits desquels vient la société [6] (ci-après [6] ou l’employeur) en qualité de maçon depuis le 6 août 2018, a effectué le 28 janvier 2022 une déclaration de maladie professionnelle auprès de la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône (ci-après la CPAM ou la caisse), basée sur un certificat médical initial du 28 mai 2021 qui fait état des constatations médicales suivantes : « Tendinite du sous scapulaire et du sis épineux avec conflit sous acromal épaule gauche ».

Par courrier du 2 mars 2022, [6] a adressé à la CPAM des Bouches-du-Rhône des réserves sur le lien entre la pathologie déclarée par Monsieur [Y] [V] et son activité professionnelle.

Le 17 août 2022, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (ci-après CRRMP) PACA Corse a rendu un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par Monsieur [Y] [V] en retenant un lien direct entre la maladie et le travail habituel de la victime.

Par courrier du 25 août 2022, la CPAM des Bouches-du-Rhône a informé [6] de sa décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche inscrite au tableau n° 57 des maladies professionnelles.

[6] a saisi la Commission de Recours Amiable de la CPAM des Bouches-du-Rhône (ci-après CRA) qui, par décision du 4 avril 2023 a rejeté le recours d’EIFFAGE et a déclaré opposable à cette société la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l’affection de Monsieur [Y] [V].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 avril 2023, [6] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille d’un recours contre la décision de rejet de la CRA de la CPAM des Bouches-du-Rhône du 4 avril 2023.

Par ordonnance présidentielle du 10 mai 2023, la Vice-Présidente du tribunal de céans a désigné le CRRMP Grand Est avec pour mission de dire si l’affection présentée par Monsieur [Y] [V] a été directement causée par son activité professionnelle habituelle.

Le 9 octobre 2023, la CRRMP Grand Est a émis un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par Monsieur [Y] [V] en retenant un lien direct entre la maladie et le travail habituel de la victime.

L'affaire a été appelée à l'audience du 22 février 2024.

Par voie de conclusions soutenues oralement par son avocat, [6] demande au tribunal de :
-juger recevable et bienfondé son recours,
-juger inopposable à son égard la décision de la CPAM des Bouches-du-Rhône du 25 août 2022 de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par Monsieur [Y] [V],
-Débouter la CPAM des Bouches-du-Rhône de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
-condamner la CPAM des Bouches-du-Rhône à lui verser la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

Elle soutient que la CPAM des Bouches-du-Rhône n’a pas respecter son obligation d’information à son égard dans la mesure où elle ne lui a pas communiqué l’avis du CRRMP au moment de la notification de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle et n’a pas mis à sa disposition l’ensemble des éléments administratifs servant de fondement aux avis des CRRMP.

Elle soutient également que la CPAM des Bouches-du-Rhône ne démontre pas l’origine professionnelle de la pathologie déclarée par Monsieur [Y] [V]. A ce titre, elle critique notamment les avis des deux CRRMP et conteste l’exposition au risque du salarié ainsi que le lien direct entre la maladie et la pathologie déclarée.

Par voie de conclusions soutenues oralement par une inspectrice juridique, la CPAM des Bouches-du-Rhône demande au tribunal de :
-entériner l’avis du CRRMP Grand Est,
-dire opposable à [6] la maladie professionnelle de Monsieur [Y] [V],
-débouter [6] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Elle soutient qu’elle a respecté son devoir d’information d’EIFFAGE car aucun texte ne mentionne l’obligation de communiquer à l’employeur l’avis du CRRMP à l’appui de sa décision de prise en charge de la maladie professionnelle et qu’elle n’avait pas à communiquer à l’employeur le rapport établi par le médecin conseil car cet élément est couvert par le secret médical.

Elle soutient également que compte tenu des éléments recueillis au cours de l’enquête administrative qu’elle a mené et des deux avis favorables et concordants des CRRMP, la maladie professionnelle dont est atteint Monsieur [Y] [V] est bien caractérisée.

En application de l’article 455 du Code de procédure civile, il convient de se reporter aux observations et conclusions des parties à l’audience, reprenant l’exposé complet de leurs moyens et prétentions.

L’affaire a été mise en délibéré au 25 avril 2024.



MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité du recours

La recevabilité du recours d’EIFFAGE n’est pas contestée par la CPAM des Bouches-du-Rhône. En outre, la société [6] a saisi le tribunal de céans le 25 avril 2022 d’un recours contre la décision de la CRA de la CPAM des Bouches-du-Rhône du 4 avril 2023, soit dans le délai de 2 mois à compter de la notification de la décision contestée prévus à l’article R. 142-1-A du code de la sécurité sociale.

Il convient donc de déclarer recevable le recours d’EIFFAGE.


Sur l’étendue de l’obligation d’information de la CPAM

[6] reproche à la CPAM des Bouches-du-Rhône divers manquements à son obligation d’information.

Elle lui reproche de ne pas lui avoir communiquer l’avis du CRRMP PACA Corse au moment de la notification de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle (1), et de ne pas avoir mis à sa disposition l’ensemble des éléments administratifs du dossier servant de fondement aux avis des CRRMP (2).

Sur l’absence de l’avis du CRRMP L’article R. 441-18 alinéa 1 du code de la sécurité sociale dispose que :
« La décision de la caisse mentionnée aux articles R. 441-7, R. 441-8, R. 441-16, R. 461-9 et R. 461-10 est motivée. Lorsque le caractère professionnel de l'accident, de la maladie, de la rechute ou de la nouvelle lésion n'est pas reconnu, la notification de cette décision, qui comporte la mention des voies et délais de recours, est adressée à la victime ou ses représentants par tout moyen conférant date certaine à sa réception. Dans le cas contraire, la notification, qui comporte la mention des voies et délais de recours, est adressée à l'employeur par tout moyen conférant date certaine à sa réception. Dans l'un comme l'autre cas, la décision est également notifiée à la personne à laquelle la décision ne fait pas grief. ».

L’article D. 461-30 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, soit la version applicable depuis le 1er décembre 2019, dispose que :
« L'ensemble du dossier est rapporté devant le comité par le médecin conseil qui a examiné la victime ou qui a statué sur son taux d'incapacité permanente, ou par un médecin-conseil habilité à cet effet par le médecin-conseil régional.

Le comité peut entendre l'ingénieur-conseil chef du service de prévention de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail ou l'ingénieur-conseil qu'il désigne pour le représenter.

Le comité peut entendre la victime et l'employeur, s'il l'estime nécessaire. »

***

En l’espèce au visa des articles L. 461-1 alinéa 3 R. 441-18 et D. 461-30 (dans sa version en vigueur jusqu’au 1er décembre 2019) du code de la sécurité sociale, [6] soutient qu’en l’absence de transmission de l’avis du CRRMP PACA Corse, lors de la notification de la décision de prise en charge du 25 août 2022, la caisse a violé son obligation d’information.

Il est étonnant que [6] soutienne que l’article D. 461-30 du code de la sécurité sociale doit être appliqué dans sa version en vigueur jusqu’au 1er décembre 2019 alors que la décision de reconnaissance d’une maladie professionnelle est du 25 août 2022 et qu’elle se fonde sur une déclaration de maladie professionnelle du 28 janvier 2022, elle – même basée sur un certificat médical initial du 28 mai 2021. L’article D. 461-30 du code de la sécurité sociale applicable au litige est donc celui issue du décret n° 2019-356 du 23 avril 2019 en vigueur depuis le 1er décembre 2019.

Aucune des dispositions des articles R. 441-18 et D. 461-30 du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable au présent litige, ni aucune autres dispositions légales ou réglementaires n'imposaient à la CPAM des Bouches-du-Rhône de communiquer à [6] l'avis du CRRMP, l’article R. 441-18 du code de la sécurité sociale lui imposait seulement de notifier à [6] sa décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle, ce qu’elle a fait.

La CPAM des Bouches-du-Rhône n’a donc commis aucun manquement à son obligation d’information à ce titre.


Sur les éléments administratifs du dossier consultable par l’employeur
L’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale dispose que :
« Le dossier mentionné aux articles R. 441-8 et R. 461-9 constitué par la caisse primaire comprend ;
1°) la déclaration d'accident du travail ou de maladie professionnelle ;
2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;
3°) les constats faits par la caisse primaire ;
4°) les informations communiquées à la caisse par la victime ou ses représentants ainsi que par l'employeur ;
5°) les éléments communiqués par la caisse régionale ou, le cas échéant, tout autre organisme.

Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur.

Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire. »

L’article D. 461-29 du code de la sécurité sociale dispose que :
« Le dossier examiné par le comité régional comprend les éléments mentionnés à l'article R. 441-14 auxquels s'ajoutent :
1° Les éléments d'investigation éventuellement recueillis par la caisse après la saisine du comité en application de l'article R. 461-10 ;
2° Les observations et éléments éventuellement produits par la victime ou ses représentants et l'employeur en application de l'article R. 461-10 ;
3° Un avis motivé du médecin du travail de la ou des entreprises où la victime a été employée portant notamment sur la maladie et la réalité de l'exposition de celle-ci à un risque professionnel présent dans cette ou ces entreprises éventuellement demandé par la caisse en application du II de l'article R. 461-9 et qui lui est alors fourni dans un délai d'un mois ;
4° Un rapport circonstancié du ou des employeurs de la victime décrivant notamment chaque poste de travail détenu par celle-ci depuis son entrée dans l'entreprise et permettant d'apprécier les conditions d'exposition de la victime à un risque professionnel éventuellement demandé par la caisse en application du II de l'article R. 461-9 et qui lui est alors fourni dans un délai d'un mois ;
5° Le rapport établi par les services du contrôle médical de la caisse primaire d'assurance maladie indiquant, le cas échéant, le taux d'incapacité permanente de la victime.

La communication du dossier s'effectue dans les conditions définies à l'article R. 441-14 en ce qui concerne les pièces mentionnées aux 1°, 2° et 4° du présent article.

L'avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par les services du contrôle médical mentionnés aux 3° et 5° du présent article sont communicables de plein droit à la victime et ses ayants droit. Ils ne sont communicables à l'employeur que par l'intermédiaire d'un praticien désigné à cet effet par la victime ou, à défaut, par ses ayants droit. Ce praticien prend connaissance du contenu de ces documents et ne peut en faire état, avec l'accord de la victime ou, à défaut, de ses ayants droit, que dans le respect des règles de déontologie. 

Seules les conclusions administratives auxquelles ces documents ont pu aboutir sont communicables de plein droit à son employeur. »

Il est de jurisprudence constante qu’il résulte de la combinaison des articles R. 441-14 et D. 461-29 que les conclusions administratives auxquelles l'avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par les services du contrôle médical de la caisse primaire d'assurance maladie ont pu aboutir sont au nombre des éléments, qui faisant grief à l'employeur, doivent figurer dans le dossier mis à sa disposition avant clôture de l'instruction (Cass 2ème Civ. 17/02/2022, n° 20-18.843 ; ).

***

En l’espèce, [6] reproche à la CPAM des Bouches-du-Rhône de ne pas avoir inclus les conclusions du rapport de contrôle médical de la CPAM dans le dossier que peut consulter l’employeur avant transmission au CRRMP et demande au tribunal de lui déclarer inopposable la décision du 25 août 2022 de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur [Y] [V].

La CPAM des Bouches-du-Rhône ne rapporte pas la preuve qu’elle a inclus ce document dans le dossier médical consultable par l’employeur avant la clôture de l'instruction alors qu’il ressort de l’avis du CRRMP PACA Corse que ce rapport faisait partie des documents donc le comité a pris connaissance.

En conséquence, il convient de déclarer inopposable à [6] la décision de la CPAM des Bouches-du-Rhône du 25 août 2022 de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par Monsieur [Y] [V].


L’inopposabilité de la décision du 26 octobre 2022 de la CPAM des Bouches-du-Rhône de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par Monsieur [Y] [V] étant acquise, il n'y a pas lieu de statuer sur les autres moyens soulevés par les parties.


Sur les demandes accessoires

En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens seront laissés à la charge de la CPCAM des Bouches-du-Rhône, partie perdante.

L’équité ne commande pas qu’il fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit d’EIFFAGE.


PAR CES MOTIFS

Le tribunal, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe :

-DÉCLARE recevable le recours d’EIFFAGE contre la décision de la Commission de Recours Amiable de la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône du 4 avril 2023, ayant confirmé l’opposabilité à la société [6] la décision de la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône du 25 août 2022 de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée le 28 janvier 2022 par Monsieur [Y] [V] ;

-DÉBOUTE la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône de l’intégralité de ses demandes ;

-DÉCLARE inopposable à la société [6] la décision de la CPAM des Bouches-du-Rhône du 25 août 2022 de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par Monsieur [Y] [V] le 28 janvier 2022 ;

-CONDAMNE la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône aux dépens ;

-DIT ne pas avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

-DIT que tout appel de la présente décision doit être formé, sous peine de forclusion, dans le délai d’un mois à compter de la réception de sa notification, conformément aux dispositions de l'article 538 du code de procédure civile.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 25 avril 2024.


LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT

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