25 avril 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 22/11004

9ème chambre 3ème section

Texte de la décision

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le :


à
Me ESCARD DE ROMANOVSKY
Me MEUNIER




9ème chambre 3ème section


N° RG 22/11004 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CXTT4

N° MINUTE : 5


Assignation du :
05 Septembre 2022








JUGEMENT
rendu le 25 Avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [W] [N]
[Adresse 2]
[Localité 4]

Représenté par Maître Emmanuel ESCARD DE ROMANOVSKY, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #B0140 et la SELARL DUTERME MOITTIE ROLLAND, avocats au barreau de Châlons en Champagne, avocats plaidant


DÉFENDERESSE

S.A. SOCIETE GENERALE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]

Représentée par Maître Caroline MEUNIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0126



Décision du 25 Avril 2024
9ème chambre 3ème section
N° RG 22/11004 - N° Portalis 352J-W-B7G-CXTT4

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Béatrice CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente
Hadrien BERTAUX, Vice-Président
Gilles MALFRE, Vice-président

assistés de Sandrine BREARD, Greffière lors des débats et de Chloé DOS SANTOS, Greffière, lors de la mise à disposition


DÉBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue en audience publique devant CHARLIER-BONATTI, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 25 avril 2024.


JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort



EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [N] détient un compte dans les livres de la banque SOCIETE GENERALE.

Monsieur [N] a été victime de l'escroquerie suivante : il a reçu un SMS le 15 mai 2022 pour une demande d'authentification d'un achat de 789,89 €, a appelé le numéro de téléphone portable mentionné sur ledit SMS pour signaler qu'il n'était pas à l'origine de l'achat ; son interlocutrice lui a donné des consignes pour formaliser une opposition sur la carte.

Elle lui a demandé le numéro de sa carte bancaire ainsi que son code secret et son adresse, pour lui permettre de déposer plainte elle-même. Monsieur [N] a transmis ces informations car il était persuadé d'être en contact avec la SOCIETE GENERALE. Elle lui a alors demandé de couper sa carte bancaire en deux morceaux, indiquant qu'une personne allait se présenter à son domicile pour se voir remettre la carte coupée, ce qu'il a fait ; un coursier s'est présenté et a récupéré la carte bancaire.

La nuit suivante, Monsieur [N] a été informé de ce que le plafond de sa carte bancaire avait été dépassé. Il a alors constaté que deux retraits de 3.000 euros et un retrait de 1.500 euros avaient été portés au débit de son compte, soit un total de 7.500 euros.

Un certain nombre d'achats ont également été effectués auprès de commerçants.

Décision du 25 Avril 2024
9ème chambre 3ème section
N° RG 22/11004 - N° Portalis 352J-W-B7G-CXTT4

Par assignation en date du 5 septembre 2022, Monsieur [N] a saisi le tribunal.

Par conclusions en date du 14 septembre 2023, Monsieur [W] [N] demande au tribunal de :
“- Dire et juger recevable et bien fondé Monsieur [W] [N] en ses demandes ;
- Condamner la SOCIETE GENERALE à payer à Monsieur [W] [N] la somme en principal de 35.867,93 € en remboursement des opérations frauduleuses survenues sur son compte bancaire, augmentée des intérêts à compter de la mise en demeure en date du 1er juin 2022 ;
- Condamner la SOCIETE GENERALE à payer à Monsieur [W] [N] la somme de 40 € en remboursement des commissions d'interventions des opérations frauduleuses ;
- Condamner la SOCIETE GENERALE à payer à Monsieur [W] [N] la somme de 5.000 € en réparation du préjudice moral subi ;
Condamner la SOCIETE GENERALE à payer à Monsieur [W] [N] la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Dire n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- Débouter la SOCIETE GENERALE de l'ensemble de ses autres demandes plus amples ou contraires ;
- Condamner la SOCIETE GENERALE aux entiers dépens”.

Monsieur [N] soutient qu'il n'a commis aucune faute de quelque nature que ce soit.

Il rappelle qu'il ne saurait être question de rechercher la responsabilité du client si l'opération de paiement non autorisée a été effectuée en détournant, à son insu, l'instrument de paiement ou les données qui lui sont liées.

Il ajoute qu'il revient à la banque de rapporter la preuve de la régularité de l'opération dont le client nie avoir autorisé.

Il explique que la banque ne démontre pas qu'il ait fourni les informations de sa carte bancaire en pleine connaissance de cause alors que, bien au contraire, il pouvait légitimement s'inquiéter, à la réception d'un SMS sur son téléphone portable et pour un achat d'un montant non négligeable de 789,89 € qu'il n'avait pas réalisé.

Par conclusions signifiées le 01 mars 2023, la SOCIETE GENERALE demande au tribunal de :
“- DEBOUTER Monsieur [N] de l'ensemble de ses demandes ;
- CONDAMNER Monsieur [N] à verser à SOCIETE GENERALE la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.”

La SOCIETE GENERALE soutient que la fraude ne serait pas démontrée et que Monsieur [N] aurait commis une négligence grave, mais également qu'elle n'aurait commis aucun manquement et aucune faute au titre de son devoir de vigilance.

Elle développe que les opérations contestées, retraits et paiement auprès de commerçants, ont toutes été réalisées avec la carte bancaire de Monsieur [N] et validées par la composition d'un code confidentiel.

Elle ajoute qu'il ressort de la plainte déposée par Monsieur [N] et des termes de son assignation que c'est bien lui qui a remis sa carte bancaire à une personne dont il n'avait pas vérifié ni l'identité, ni la légitimité.

Selon elle, il s'agirait là d'un manquement grave et manifeste à l'obligation de Monsieur [N] de préserver la sécurité des données de sécurité personnalisées attachées à sa carte bancaire.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées pour l'exposé complet des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 février 2024 avec fixation à l'audience de plaidoirie du 7 mars 2024. L'affaire a été mise en délibéré au 25 avril 2024.



SUR CE,

I. Sur la responsabilité de la SOCIETE GENERALE

L'article L133-16 du code monétaire et financier dispose que :
« Dès qu'il reçoit un instrument de paiement, l'utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses données de sécurité personnalisées.
Il utilise l'instrument de paiement conformément aux conditions régissant sa délivrance et son utilisation qui doivent être objectives, non discriminatoires et proportionnées. »

L'article L133-17 du code monétaire et financier dispose que :
“I. – Lorsqu'il a connaissance de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de son instrument de paiement ou des données qui lui sont liées, l'utilisateur de services de paiement en informe sans tarder, aux fins de blocage de l'instrument, son prestataire ou l'entité désignée par celui-ci.
II. – Lorsque le paiement est effectué par une carte de paiement émise par un établissement de crédit, une institution ou un service mentionné à l'article L.518-1 et permettant à son titulaire de retirer ou de transférer des fonds, il peut être fait opposition au paiement en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaires du bénéficiaire tant que le compte du prestataire de services de paiement du bénéficiaire n'a pas été crédité du montant de l'opération de paiement”.

L'article L133-18 du code monétaire et financier dispose que :
« En cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L.133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l'opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l'opération ou après en avoir été informé, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, sauf s'il a de bonnes raisons de soupçonner une fraude de l'utilisateur du service de paiement et s'il communique ces raisons par écrit à la Banque de France. Le cas échéant, le prestataire de services de paiement du payeur rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu.
Lorsque l'opération de paiement non autorisée est initiée par l'intermédiaire d'un prestataire de services de paiement fournissant un service d'initiation de paiement, le prestataire de services de paiement gestionnaire du compte rembourse immédiatement, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, au payeur le montant de l'opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu. La date de valeur à laquelle le compte de paiement du payeur est crédité n'est pas postérieure à la date à laquelle il avait été débité.
Si le prestataire de services de paiement qui a fourni le service d'initiation de paiement est responsable de l'opération de paiement non autorisée, il indemnise immédiatement le prestataire de services de paiement gestionnaire du compte, à sa demande, pour les pertes subies ou les sommes payées en raison du remboursement du payeur, y compris le montant de l'opération de paiement non autorisée.
Le payeur et son prestataire de services de paiement peuvent décider contractuellement d'une indemnité complémentaire. »

L'article L.133-19 du code monétaire et financier dispose que :
« I. – En cas d'opération de paiement non autorisée consécutive à la perte ou au vol de l'instrument de paiement, le payeur supporte, avant l'information prévue à l'article L.133-17, les pertes liées à l'utilisation de cet instrument, dans la limite d'un plafond de 50 €.
Toutefois, la responsabilité du payeur n'est pas engagée en cas d'opération de paiement non autorisée effectuée sans utilisation des données de sécurité personnalisées ; de perte ou de vol d'un instrument de paiement ne pouvant être détecté par le payeur avant le paiement; de perte due à des actes ou à une carence d'un salarié, d'un agent ou d'une succursale d'un prestataire
de services de paiement ou d'une entité vers laquelle ses activités ont été externalisées.
II. – La responsabilité du payeur n'est pas engagée si l'opération de paiement non autorisée a été effectuée en détournant, à l'insu du payeur, l'instrument de paiement ou les données qui lui sont liées.
Elle n'est pas engagée non plus en cas de contrefaçon de l'instrument de paiement si, au moment de l'opération de paiement non autorisée, le payeur était en possession de son instrument.
III. – Sauf agissement frauduleux de sa part, le payeur ne supporte aucune conséquence financière si le prestataire de services de paiement ne fournit pas de moyens appropriés permettant l'information aux fins de blocage de l'instrument de paiement prévue à l'article L.133-17.
IV. – Le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d'un agissement frauduleux de sa part ou s'il n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L.133-16 et L.133-17.
V. – Sauf agissement frauduleux de sa part, le payeur ne supporte aucune conséquence financière si l'opération de paiement non autorisée a été effectuée sans que le prestataire de services de paiement du payeur n'exige une authentification forte du payeur prévue à l'article L.133-44.
VI. – Lorsque le bénéficiaire ou son prestataire de services de paiement n'accepte pas une
authentification forte du payeur prévue à l'article L.133-44, il rembourse le préjudice financier causé au prestataire de services de paiement du payeur. »



Enfin, l'article L133-33 du code monétaire et financier dispose que :
« Lorsqu'un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, ou affirme que l'opération de paiement n'a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l'opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre.
L'utilisation de l'instrument de paiement telle qu'enregistrée par le prestataire de services de paiement ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que l'opération a été autorisée par le payeur ou que celui-ci n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations lui incombant en la matière. Le prestataire de services de paiement, y compris, le cas échéant, le prestataire de services de paiement fournissant un service d'initiation de paiement, fournit des éléments afin de prouver la fraude ou la négligence grave commise par l'utilisateur de services de paiement. »

Ainsi, s'il appartient à l'utilisateur de services de paiement de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés et d'informer sans tarder son prestataire de tels services de toute utilisation non autorisée de l'instrument de paiement ou des données sui lui sont liées, c'est au prestataire qu'il incombe de rapporter la preuve que l'utilisateur a agi frauduleusement ou n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à ses obligations.

Cette preuve ne peut se déduire du seul fait que l'instrument de paiement ou les données personnelles qui lui sont liées ont été effectivement utilisés.

Aucune présomption n'est attachée à l'infaillibilité supposée des instruments de paiement sécurisés dès lors que le risque de la fraude ne pèse pas sur l'utilisateur.

Au cas présent, Monsieur [N] reconnait dans sa plainte qu'il a transmis à une personne qui se faisait passer pour une employée de la SOCIETE GENERALE son numéro de carte, son code secret et son adresse.

Les opérations contestées ont donc pu être réalisées avec la carte bancaire de Monsieur [N] et validées par la composition d'un code confidentiel.
Elles ont par ailleurs été réalisées le 15 mai 2022, soit avant l'opposition faite sur la carte.

En conséquence, Monsieur [N], qui a commis une négligence grave dans la conservation de ses moyens de paiement et de dispositifs de sécurité qui y sont attachés, sera débouté de ses demandes de remboursement des opérations frauduleuses survenues sur son compte bancaire.


II. Sur les autres demandes

Monsieur [N] qui succombe, sera condamné aux dépens.

Il n'apparait pas inéquitable de ne pas faire droit aux demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.


PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe :

DÉBOUTE Monsieur [W] [N] de l'ensemble de ses demandes ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Monsieur [W] [N] aux entiers dépens.


Fait et jugé à Paris le 25 Avril 2024.


LA GREFFIERELA PRÉSIDENTE

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