25 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/04595

Pôle 4 - Chambre 10

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 10



ARRET DU 25 AVRIL 2024



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04595 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDIF7



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Décembre 2020 -TJ d'EVRY RG n° 20/01659





APPELANTE



SCI BELLEVUE, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Justine FLOQUET, avocat au barreau de PARIS

Assistée à l'audience de Me Thierry-xavier FLOQUET de la SCP FLOQUET-GARET -NOACHOVITCH, avocat au barreau d'ESSONNE







INTIMÉ



Monsieur [K] [G] [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Défaillante, régulièrement avisée le 18 juin 2021 par procès-verbal de remise à personne physique







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Valérie MORLET, Conseillère, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :



Madame Florence PAPIN, Présidente

Madame Valérie MORLET, Conseillère

Madame Anne ZYSMAN, Conseillère





Greffier, lors des débats : Madame Catherine SILVAN







ARRÊT :



- réputé contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Catherine SILVAN, greffier, présent lors de la mise à disposition.






***





Faits et procédure



Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé à [Adresse 5], a par jugement du 21 février 2017 obtenu la condamnation de Monsieur [K] [O] au paiement à son profit d'un certain nombre de sommes dues en sa qualité de copropriétaire dans l'immeuble.



Le syndicat des copropriétaires a au vu de ce jugement et par acte du 3 octobre 2018 signifié à l'intéressé un commandement de payer, valant saisie aux fins de vente de son appartement.



Faute de paiement, il a ensuite, en sa qualité de créancier, poursuivi la vente sur saisie immobilière du bien immobilier appartenant à Monsieur [O].



Le tribunal de grande instance d'Evry, par jugement du 12 juin 2019, a adjugé le bien à la SCI Bellevue pour le prix de 70.000 euros, frais en sus. Le jugement a par acte du 13 août 2019 été signifié à Monsieur [O].



La société Bellevue a réglé les frais et droits d'enregistrement selon quittance du 10 septembre 2019 et consigné la totalité du prix selon déclaration du 31 juillet 2019.



Monsieur [O] a conservé l'usage de l'appartement jusqu'à la remise de ses clés, le 21 août 2019 selon attestation du gérant de la société Bellevue du même jour.



La société Bellevue a fait le 23 août 2019 dresser par huissier un procès-verbal de constat de l'état des lieux de l'appartement. Au vu de ce procès-verbal et arguant de la dégradation du bien postérieurement à son adjudication, elle a par acte 27 février 2020 assigné Monsieur [O] en indemnisation devant le tribunal judiciaire d'Evry. Régulièrement assigné, l'intéressé n'a pas constitué avocat devant le tribunal.



*



Le tribunal, par jugement du 7 décembre 2020, réputé contradictoire, a :



- condamné Monsieur [O] à payer à la société Bellevue la somme de 5.500 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné Monsieur [O] à payer à la société Bellevue la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [O] aux dépens,

- débouté la société Bellevue de toutes ses autres demandes, plus amples ou contraires,

- rappelé que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire et dit qu'en l'espèce aucune circonstance particulière ne justifie qu'elle soit écartée.



La société Bellevue a par acte du 9 mars 2021 interjeté appel de ce jugement, intimant Monsieur [O] devant la Cour.



*



La société Bellevue, dans ses dernières conclusions signifiées le 25 mai 2023, demande à la Cour de :



- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur [O] à lui payer des dommages et intérêts sur le fondement de l'article R321-15 du code des procédures civiles d'exécution,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur [O] à payer la seule somme de 5.500 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner Monsieur [O] à lui payer la somme de 23.001 euros HT, soit 25.301,10 euros TTC, à titre de dommages et intérêts,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur [O] à payer la seule somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [O] à lui payer, au titre des frais irrépétibles de première instance, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [O] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles devant la Cour et ce sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [O] aux dépens de première instance et d'appel.



Monsieur [O] n'a pas constitué avocat devant la Cour. Il a été destinataire de la déclaration d'appel et des conclusions de la société Bellevue, délivrées par acte du 18 janvier 2021 à personne physique. L'arrêt sera en conséquence réputé contradictoire en application de l'article 473 du code de procédure civile.



*



La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 29 novembre 2023, l'affaire plaidée le 13 février 2024 et mise en délibéré au 25 avril 2024.




Motifs



Sur la demande de la société Bellevue



Les premiers juges ont, par comparaison des états des lieux par huissiers des 19 octobre 2018 et 23 août 2019, observé que Monsieur [O] avait altéré la valeur de son bien, saisi et vendu aux enchères, mais estimé que le devis présenté par la société Bellevue concernait une rénovation complète de l'appartement et que de nombreuses prestations ne résultaient pas d'un manquement de l'intéressé à ses obligations, limitant sa condamnation à indemniser l'acquéreur à hauteur de 5.500 euros.



La société Bellevue reproche aux premiers juges d'avoir ainsi statué, alors que le procès-verbal de constat d'huissier du 19 octobre 2018 fait état d'un appartement en « bon état », mais qu'il a été « volontairement dégradé ». Elle réclame la condamnation de Monsieur [O] à lui payer la somme de 23.001 euros HT, soit 25.301,10 euros TTC.



Sur ce,



L'article R321-15 du code des procédures civiles d'exécution dispose qu'à moins que son expulsion soit ordonnée, le débiteur conserve l'usage de l'immeuble saisi sous réserve de n'accomplir aucun acte matériel susceptible d'en amoindrir la valeur, à peine de dommages et intérêts et sans préjudice, s'il y a lieu, des peines prévues par l'article 314-6 du code pénal.



Le jugement n'est pas remis en cause en ce qu'il a retenu la responsabilité de Monsieur [O] qui, après que son appartement a été saisi et tant qu'il en a conservé l'usage, l'a dégradé de sorte que sa valeur a été amoindrie, en méconnaissance des dispositions précitées.



Monsieur [O] doit donc être condamné à réparation des dégradations commises. La comparaison de l'état des lieux avant le départ de Monsieur [O], selon procès-verbal de constat d'huissier du 19 octobre 2018 établi à la requête du syndicat des copropriétaires aux fins de description de l'appartement saisi, puis après son départ, selon procès-verbal d'huissier dressé le 23 août 2019 à la requête de la société Bellevue, adjudicataire du bien, permet de constater les dégradations commises.



Sur les peintures, parquets et carrelages



Au mois d'octobre 2018, l'huissier a indiqué que dans l'entrée, le séjour, le dégagement et les deux chambres, le parquet était en « état d'usage, avec quelques disjonctions de lames » (et quelques impacts dans le séjour). Concernant les peintures, il a mentionné une peinture blanche « grisonnante par endroits » dans l'entrée, une « peinture blanche en état d'usage » dans le séjour et la cuisine, les sanitaires, le dégagement et la salle de bains mais avec quelques fissures, dégradations, traces et parfois « usagée » aux plafonds, une peinture grise dans la première chambre, en « bon état », et une peinture rouge dans la seconde chambre, en état d'usage. Le carrelage de la cuisine a été décrit comme « ancien de couleur marron », celui des sanitaires et de la salle de bains comme « en état d'usage » (les jointures étant sales).



Au mois d'août 2019, l'huissier a observé un « parquet stratifié hors d'usage » dans l'entrée, les deux chambres et « à nettoyer » dans le dégagement, ainsi qu'une peinture « à refaire en totalité » dans l'entrée, la salle de bains, les sanitaires, le séjour, la cuisine et les chambres (murs et plafonds, étant précisé que dans l'une d'elles, « la peinture a été recouverte de graffitis insultants et homophobes » sur les quatre murs). Concernant les sols carrelés, l'huissier a relevé leur grande saleté, leur état « à nettoyer » (sanitaires et salle de bains), et leur état « hors d'usage » dans la cuisine.



Il est ainsi établi que les peintures des murs et plafonds, les parquets et sols carrelés de l'appartement acquis par la société Bellevue au regard de son état tel que décrit au mois d'octobre 2018, certes déjà endommagé, ont subi entre cette date et la livraison du bien à l'adjudicataire au mois d'août 2019 de réelles dégradations, passant d'un état d'usage à un état hors d'usage et à refaire intégralement, amoindrissant nécessairement la valeur du bien.



La société Bellevue apparaît dès lors bien fondée à réclamer à Monsieur [O] l'indemnisation du préjudice résultant pour elle de l'amoindrissement de cette valeur. Cette perte de valeur peut être évaluée à hauteur des travaux nécessaires pour une remise en état des peintures et parquets, pour les sommes de 9.214 euros HT au titre des travaux de peinture, et de 5.637 euros HT au titre des travaux de revêtements de sols (parquets et carrelages), selon devis de la SARL Azur du 27 août 2019.



Sur les miroirs et portes de placard



Au mois d'octobre 2018, l'huissier a fait état d'un placard aménagé avec deux portes miroirs coulissantes dans l'entrée, d'un placard muni de deux portes coulissantes noires dans le séjour et d'un placard aménagé avec une porte « usagée face miroir » dans la chambre grise.



Au mois d'août 2019, l'huissier a observé que l'une des portes du placard de l'entrée était manquante et que l'autre ne coulissait plus, que les deux portes miroirs de la chambre grise étaient cassées et que les portes du placard du séjour ainsi que les étagères étaient manquantes.



Sont ainsi également établies des dégradations entre 2018 et 2019 de l'état de l'appartement en ce qui concerne les portes de ses placards intégrés, lesquelles amoindrissent la valeur du bien.



La société Bellevue est donc fondée à réclamer réparation du préjudice résultant de cette valeur amoindrie, à hauteur de la somme de 2.850 euros HT pour la fourniture et la pose de trois portes de placard coulissantes, selon devis de la société Azur du 27 août 2019.



Sur les meubles et équipements de la cuisine



Tous les équipements de la cuisine (meubles hauts et bas, électro-ménager) observés par l'huissier au mois d'octobre 2018 ont été retirés au mois d'août 2019, seul un élément de plan de travail (troué pour recevoir une vasque et une plaque), un « évier cassé » et un ballon d'eau chaude subsistant. La société Bellevue reconnaît que le procès-verbal de 2019 ne permet pas d'établir la réalité d'une atteinte structurelle à l'immeuble et ne critique pas le jugement qui l'a déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef. Il en est pris acte.



Sur les volets roulants du séjour



Au mois d'octobre 2018, l'huissier a relevé dans le séjour l'état d'usage du volet roulant électrique de la porte-fenêtre et du volet roulant manuel de la fenêtre.



Au mois d'août 2019, l'huissier n'a pu lever et tester le volet roulant du séjour, faute d'électricité dans l'appartement. Il a constaté la présence de « dégradations en partie supérieure » du volet électrique et la possibilité d'une ouverture seulement partielle du volet manuel, dont le bas « a pris un coup et est enfoncé ».



Ainsi, et quand bien même le dysfonctionnement du volet électrique n'a pu être établi en 2019, la détérioration des deux volets entre 2018 et 2019 est démontrée, amoindrissant nécessairement la valeur de l'appartement situé en rez-de-chaussée.



La société Bellevue apparaît en conséquence bien fondée à réclamer la réparation du préjudice résultant de cette moindre valeur, à hauteur de la somme de 1.280 + 980 = 2.260 euros HT, selon devis de la société Azur du 27 août 2019.



***



La société Bellevue ne saurait, à l'issue de ces développements, réclamer la somme totale de 23.001 euros HT, soit 25.301,10 euros TTC, en procédant à des déductions sur le devis de la société Azur du 27 août 2019 (d'un montant total de 31.351 euros HT, soit 34.486,10 euros TTC), alors qu'elle ne motive pas la nécessité d'autres travaux de reprise justifiés par des dégradations de la part de Monsieur [O].



Au regard de la preuve des dégradations effectivement commises par Monsieur [O] entre les mois d'octobre 2018 et août 2019 et de l'amoindrissement de la valeur de l'appartement qui en est résulté, la société Bellevue est donc bien fondée à réclamer réparation à l'intéressé à hauteur de la seule somme totale de 9.214 + 5.637 + 2.850 + 2.260 = 19.961 euros HT, soit 21.957,10 euros TTC (TVA au taux de 10%).



Aussi, sur infirmation du jugement qui a condamné Monsieur [O] à payer à la société Bellevue la seule somme de 5.500 euros à titre de dommages et intérêts et statuant à nouveau, la Cour condamnera le premier à payer la somme totale de 21.957,10 euros à la seconde, en indemnisation de la perte de valeur de l'appartement dont elle a été déclarée adjudicataire.











Sur les dépens et frais irrépétibles



Le sens de l'arrêt conduit à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de Monsieur [O] et sans qu'il n'y ait lieu à modification de la somme mise à sa charge.



Ajoutant au jugement, la Cour condamnera Monsieur [O], qui succombe devant elle, aux dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.



Tenu aux dépens, Monsieur [O] sera également condamné à payer à la société Bellevue la somme équitable de 2.000 euros en indemnisation des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par ces motifs,



La Cour,



Infirme le jugement, sauf en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, confirmées,



Statuant à nouveau et ajoutant au jugement,



Condamne Monsieur [K] [O] à payer la somme de 21.957,10 euros à la SCI Bellevue en indemnisation de la perte de valeur de l'appartement dont elle a été déclarée adjudicataire,



Condamne Monsieur [K] [O] aux dépens d'appel,



Condamne Monsieur [K] [O] à payer la somme de 2.000 euros à la SCI Bellevue en indemnisation de ses frais irrépétibles d'appel.





LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

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