25 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 23/15634

Pôle 1 - Chambre 2

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 25 AVRIL 2024



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/15634 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIITN



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Septembre 2023 -Président du TJ de Paris - RG n° 23/55005





APPELANTE



Mme [Y] [N] épouse [G]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Nathan BLATZ de la SAS BLATZ AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1665, présent à l'audience





INTIMES



M. [O] [G]

[Adresse 6]

[Localité 7]



S.C.I. [9], RCS de Paris sous le n°[N° SIREN/SIRET 3], agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]



Représentés par Me Renaud RIALLAND, avocat au barreau de PARIS, toque : D0607, présent à l'audience





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 07 Mars 2024 en audience publique, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et Michèle CHOPIN, Conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,



Qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Michèle CHOPIN, Conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.



Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL







ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.




****

EXPOSE DU LITIGE



Le 1er octobre 2007, M. [G] et Mme [N] ont créé la société civile SCI [9], qui exerce une activité d'acquisition et location de tous biens et droits immobiliers. M. [G], gérant, détient 75.000 parts du capital social, et Mme [N], 25 parts. La SCI [9] est propriétaires de 3 biens immobiliers.



Le 5 septembre 2009, M.[G] et Mme [N] se sont mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts.



M.[G] souffre de bipolarité depuis sa jeunesse. Par ordonnance du 28 janvier 2021, le juge des tutelles de Boulogne-Billancourt l'a placé sous curatelle aménagée pour une durée de 36 mois, renouvelée le 30 novembre 2022 jusqu'au 28 janvier 2024. Cette ordonnance indique que M. [G] pourra continuer à exercer une activité professionnelle en tant que gérant de société, sans disposer de carte de paiement dans un premier temps, en disposant d'une carte de paiement à débit immédiat plafonnée sur le mois aux termes de l'ordonnance de renouvellement du 30 novembre 2022.



Par actes des 14 et 19 juin 2023, Mme [N] a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris M.[G] et la SCI [9] aux fins de voir ordonner la désignation d'un administrateur provisoire à la SCI [9] avec pour mission de gérer et administrer la société, la représenter dans les contentieux en cours, faire un rapport sur la situation économique et financière, sur les difficultés rencontrées par la société, ainsi que ses perspectives en se faisant le cas échéant assister par tout technicien utile dans le cadre de cette mission, et à titre subsidiaire, ordonner la révocation de M. [G] de son mandat social de gérant de la SCI [9], à charge pour l'assemblée générale de nommer un nouveau gérant, ordonner la nomination d'un mandataire ad hoc de son choix, qui sera chargé de convoquer une assemblée générale qui aura pour ordre du jour la désignation d'un nouveau gérant qui ne pourra être M. [G].



Par ordonnance de référé rendue le 7 septembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation,

- dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes de Mme [N],

- débouté M. [G] et la SCI [9] de leurs demandes,

- condamné Mme [N] aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu d'enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur,

- accordé à Me Rialland, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Par déclaration du 19 septembre 2023, Mme [N] a relevé appel de cette décision.











Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 29 janvier 2024, elle demande à la cour de :



- la déclarer recevable et bien fondée en son appel de la décision rendue le 7 septembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Paris ;

Y faisant droit :

- infirmer l'ordonnance sus énoncée et datée en ce qu'elle a :


dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes de Madame [Y] [N] ;

condamné Madame [Y] [N] aux entiers dépens ;

dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;


- ordonner à titre de provision la désignation d'un administrateur provisoire, tel qu'il plaira à la cour ;

- ordonner les missions de l'administrateur provisoire comme celles de gérer et administrer la société, représenter la société dans les contentieux en cours, faire un rapport sur la situation économique et financière et la rémunération du gérant et valoriser la société [9], et le cas échéant se faire assister par tout technicien utile dans le cadre de sa mission ;

- ordonner que la rémunération de l'administrateur provisoire sera à la charge de la société [9] et qu'en cas d'empêchement, il sera pourvu au remplacement de l'administrateur provisoire par ordonnance rendue sur simple requête ;

Y ajoutant :

- condamner M. [G] à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [G] aux dépens.



Elle expose notamment que :



- les organes sociaux de la SCI [9] connaissent des dysfonctionnements graves qui la placent dans une situation de péril certain et imminent,

- il est ainsi fait interdiction à M. [G], qui souffre de troubles mentaux et a interdiction d'entrer en contact avec elle, de gérer une société civile, alors qu'aucune assemblée générale n'a été réunie et que les comptes n'ont pas été approuvés, que les comptes de la SCI [9] auprès de la [8] ont été clôturés par la banque, que les incidents de paiement se sont multipliés, ce qui démontre un état de cessation des paiements, et qu'elle-même a fait l'objet d'une inscription au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, en sa qualité de caution personnelle des prêts souscrits par la SCI [9],

- la SCI [9] est donc paralysée, en raison de la personne de son gérant.



Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 16 janvier 2024, M. [G] et la SCI [9] demandent à la cour de :



- infirmer l'ordonnance de référé du 7 septembre 2023 en ce qu'elle les a déboutés des demandes suivantes :

* déclarer nulle l'assignation en raison de la discrimination sur l'état de santé et en tout état de cause de dire n'y avoir lieu à référé en raison de la discrimination sur l'état de santé en violation de la loi du 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation aux droits communautaires dans le domaine de la lutte contre les discriminations et des articles 225-1 et 225-2 du code pénal ;

* dire n'y avoir lieu à référé en application des articles 834 et 835 du code de procédure civile, 1355 du code civil, 48 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne et 6 de la convention européenne des droits de l'homme ;

- condamner Mme [N] à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts au titre de la discrimination en raison de l'état de santé ;

- condamner Mme [N] au paiement d'une amende civile à l'appréciation du président du tribunal de commerce de céans en application de l'article 32-1 du code de procédure civile ;



- condamner Mme [N] à leur payer solidairement la somme de 3.000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts au titre de la procédure abusive ;

- condamner Mme [N] à leur payer solidairement la somme de 3.600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a jugé « n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes de Mme [N] » ;

Y ajouter :

- condamner Mme [N] à leur payer solidairement la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [N] aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Me [R] aux offres de droit en application des articles 696 à 699 du même code.



Ils exposent notamment que :



- l'assignation est nulle car fondée sur une discrimination en raison de l'état de santé de M. [G],

- le jugement de curatelle du 28 janvier 2021 et le jugement de prolongation et aménagement du 30 novembre 2022 sont assortis de l'autorité de chose jugée, de sorte que le juge des référés est incompétent pour statuer sur une prétendue incapacité de M. [G] à gérer ses sociétés et la nécessité de désigner un administrateur provisoire,

- il n'existe aucun dysfonctionnement grave, ni aucun péril imminent,

- aucun dommage imminent ni aucun trouble manifestement illicite ne sont démontrés,



Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.




SUR CE, LA COUR,



A titre liminaire, il sera relevé que Mme [N] ne soutient pas en cause d'appel sa demande subsidiaire tendant à voir ordonner la révocation de M. [G] de son mandat social de gérant de la SCI [9], à charge pour l'assemblée générale de nommer un nouveau gérant, ordonner la nomination d'un mandataire ad hoc de son choix, qui sera chargé de convoquer une assemblée générale qui aura pour ordre du jour la désignation d'un nouveau gérant qui ne pourra être M. [G]. La cour n'en est donc pas saisie.



En application de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.



Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.



L'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile dispose que le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.



Le trouble manifestement illicite visé s'entend de toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.



La désignation judiciaire d'un administrateur provisoire, dès lors qu'elle porte atteinte aux droits fondamentaux des sociétés, est une mesure exceptionnelle qui suppose que soit rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent.



En l'espèce, il sera relevé :



- que la discrimination dont se plaint l'intimé à raison de son état de santé n'étant pas une cause de nullité de l'assignation, ce moyen est inopérant ;



- qu'est aussi inopérant son moyen tiré de l'autorité de la chose jugée par les décisions prononçant et aménageant sa curatelle, en l'absence d'identité d'objet et de parties entre ces décisions et le présent litige ;



- qu'en revanche, il est important de souligner que le juge de la mesure de protection a considéré que l'état de santé de M. [G] ne l'empêchait pas d'exercer son activité professionnelle de gérant de sociétés, de sorte que Mme [N] n'est pas fondée à soutenir que l'état de santé de M. [G] ferait obstacle au fonctionnement normal de la société ;



- qu'il n'est pas versé d'éléments de nature à établir que la gérance de M.[G] ne permettrait pas un fonctionnement normal de la SCI [9], alors que celui-ci justifie avoir régulièrement effectué les déclarations fiscales de résultats, produit les bilans et comptes de résultats simplifiés au titre des années 2018, 2019, 2020 et 2021, comme souligné par l'ordonnance rendue le 6 décembre 2022 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Nanterre,



- qu'il résulte des pièces produites et notamment des déclarations fiscales que les résultats de la SCI [9] se sont élevés pour l'exercice 2020 à la somme de 25.531 euros, pour l'exercice 2021 à celle de 26.654 euros et pour l'exercice 2022 à la somme de 25.124 euros ; qu'il est établi par ailleurs que le compte bancaire de la SCI [9] présente au 31 octobre 2023 un solde positif de 9.888,59 euros,



- que les fermetures de comptes détenus par M.et Mme [G] et leurs sociétés auprès de la [8] ne sont pas motivées par la banque autrement que par la formule «nous n'avons plus convenance à maintenir nos relations» ou «nous ne souhaitons plus maintenir nos relations», de laquelle il ne peut être déduit qu'elles seraient nécessairement dues à des agissements illicites de M. [G],



- qu'enfin, Mme [N] excipe de défauts de paiement de prêts contractés par la SCI [9] mais produit des documents anciens puis en cause d'appel des lettres de relance de la [8] ; cependant, alors que les comptes de la SCI [9] établissent que celle-ci est bénéficiaire, les neuf lettres de relance ont été adressées sur une période se déroulant de 2021 à 2023 et visent les mêmes échéances, dont le défaut de paiement est donc connu depuis 2021, étant précisé que la banque n'a pas prononcé la déchéance du terme et n'a pas mis en oeuvre la procédure de remboursement anticipé, ce que Mme [N] reconnaît expressément.



Il n'est donc pas fait la preuve par Mme [N] de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la SCI [9] et menaçant celle-ci d'un péril imminent, qui justifierait la désignation d'un administrateur provisoire sur le fondement des textes précités.



L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté cette demande.



L'invocation par Mme [N] de l'état de santé de son époux, au soutien de sa demande de désignation d'administrateur provisoire, n'est pas fautive, cet élément étant susceptible d'avoir une incidence sur le fonctionnement de la SCI [9].



Les intimés seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts formée de ce chef.



Ils seront aussi déboutés de leur demande de dommages et intérêts et d'amende civile pour abus par Mme [N] de son droit d'agir, lequel n'est pas caractérisé au vu des éléments de la cause.



La nature du litige commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais et dépens au titre des deux instances.



PAR CES MOTIFS



La cour, statuant dans les limites de sa saisine,



Confirme l'ordonnance entreprise,



Y ajoutant,



Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens et frais irrépétibles de première instance et d'appel,



Rejette toute autre demande.



LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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