25 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 23/15725

Pôle 1 - Chambre 2

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 25 AVRIL 2024



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/15725 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIIZQ



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 21 Septembre 2023 -Président du TJ de PARIS - RG n°23/54879





APPELANTE



Mme [M], [J], [X] [I]

[Adresse 6]

[Localité 7]



Représentée par Me Sophie SOUBIRAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P278

Substituée à l'audience par Me Dominique TOUSSAINT, avocat au barreau de PARIS





INTIMÉE



S.C.P. [P]-LAMBERT-CAGNIART-MARCHAY-D'ESCAYRAC-

FORESTIER, société civile professionnelle titulaire d'un office notarial, RCS de Paris sous le n°300 513 157

[Adresse 1]

[Localité 8]



Représentée par Me Barthélemy LACAN de la SELAS LACAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0435

Substitué à l'audience par Me Maxime BUSSIERE, avocat au barreau de PARIS





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2024, en audience publique, devant Michèle CHOPIN, Conseillère chargée du rapport, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,



Qui en ont délibéré,



Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL



ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE





- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.




*****

EXPOSE DU LITIGE



Mme [I] a épousé M. [U] le 12 décembre 1981, union dont sont issus trois enfants.



Par acte en l'étude de Me [R], notaire, le 20 août 1983, les époux se sont concédé une donation au dernier vivant.



Par jugement du 8 novembre 2004, le divorce des époux a été prononcé par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Lyon.



M. [U] est décédé le [Date décès 2] 2009. La déclaration de succession a été établie le 20 janvier 2010.



Suite au décès de la mère de M. [U], le conseil de Mme [I] a adressé un courrier à Me [P], notaire, le 12 mai 2023 afin de solliciter la communication des actes de vente de plusieurs immeubles appartenant à son ex-époux, notamment concernant la propriété de [Localité 17] et l'immeuble à [Localité 16].



Par un nouveau courriel du 31 mai 2023, Me Toussaint, conseil de Mme [I] indiquait à Me [P] rester dans l'attente de la communication de la copie des actes de vente sollicités.



Se prévalant de l'absence de réponse à ses demandes, Mme [I] a, par acte du 15 juin 2023, fait assigner la SCP de notaires [P]-Lambert-Cagniart-Marchay- d'Escayrac- Forestier (ci-après la SCP [P]) devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir :


ordonner la communication, dans les dix jours de la signification de l'ordonnance à intervenir, délai à l'expiration duquel il courra une astreinte de 100 euros par jour de retard pendant trente jours, délai au terme duquel il pourra être à nouveau fait droit, de tout acte reçu par la SCP [P] concernant les biens transmis suite au décès de M. [U] et figurant dans sa déclaration de succession.




Par ordonnance contradictoire du 21 septembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, a :


renvoyé les parties à se pourvoir au fond ainsi qu'elles en aviseront, mais dès à présent par provision, tous les moyens des parties étant réservés ;

débouté Mme [I] de ses demandes ;

condamné Mme [I] à payer à la défenderesse la somme de 1.800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné Mme [I] aux dépens dont distraction au profit de Me Lacan.




Par déclaration du 22 septembre 2023, Mme [I] a interjeté appel de cette décision.



Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 13 décembre 2023, Mme [I] demande à la cour, au visa de l'article 23 de la loi du 25 ventôse an XI, de :




infirmer l'ordonnance dont appel ;







ordonner la communication par la SCP [P] dans les dix jours de la signification de l'arrêt à intervenir, délai à l'expiration duquel il courra une astreinte de cent euros par jour de retard pendant trente jours, délai au terme duquel il pourra être à nouveau fait droit :


* des actes de vente intervenus avec la participation de Me [P] :


d'une maison sise [Adresse 18] [Localité 10] cadastrée section AR n° [Cadastre 5] [Adresse 14] ;

de parcelles de terre sis à [Localité 17] (Vendée) cadastrées :


- section AR n°[Cadastre 11] [Adresse 15] ;

- section AR n° [Cadastre 12] [Adresse 15] ;

- section AR n°[Cadastre 3] [Adresse 15] ;

- section AR n°[Cadastre 4] [Adresse 15] ;


un appartement sis à [Localité 16] [Adresse 9]

de l'acte de cession des parts sociales de la société civile immobilière Paul Raffard dont le siège est à [Localité 8] [Adresse 13] ;

condamner la SCP [P] à lui payer une somme de 2.600 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la SCPde Braquilanges aux entiers dépens.




Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 20 novembre 2023, la SCP [P] demande à la cour de :


dire irrecevable la demande de communication dont Mme [I] saisit la cour ;

à tout le moins, l'en débouter ;


Y ajoutant :


condamner Mme [I] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner Mme [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel et dire que la Selas Lacan avocat pourra en application de l'article 699 du code de procédure civile recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont elle déclarera avoir fait l'avance sans avoir reçu provision.




Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.




SUR CE,



Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.



La production de documents par un tiers constitue bien l'une de ces mesures.



Selon l'article 11 du même code, le juge peut notamment, à la requête d'une partie, demander ou ordonner la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime tenant notamment au secret professionnel.



L' article 1435 de ce code prévoit pour sa part que les officiers publics ou ministériels sont tenus de délivrer, à charge de leurs droits, expédition ou copie des actes aux parties elles-mêmes, à leurs héritiers ou ayants droit. L' article 1436 de ce même code indique qu'en cas de refus ou de silence du dépositaire, le président du tribunal judiciaire saisi par requête statue le demandeur ou le dépositaire entendus ou appelés.



L'article 23 de la loi du 25 ventôse an XI dispose que les notaires ne pourront également, sans l'ordonnance du président du tribunal de grande instance, délivrer expédition ni donner connaissance des actes à d'autres qu'aux personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit.



L' article 3.4 du Règlement national du Conseil Supérieur du Notariat qui édicte les règles morales et professionnelles s'imposant à tous les notaires, stipulent à ce titre que 'Le secret professionnel du notaire est général et absolu. Confident nécessaire de ses clients, le notaire est tenu au secret professionnel dans les conditions prévues par le Code pénal ou toutes autres dispositions législatives ou réglementaires. Ce secret couvre tout ce qui a été porté à la connaissance du notaire dans l'exercice de ses fonctions.'



Il résulte de ces dispositions que la demande de communication d'actes ne peut être rejetée au motif que le demandeur n'établit pas sa qualité d'héritier, tout tiers dès lors qu'il justifie d'un intérêt légitime à la prise de connaissance d'un acte détenu par un notaire pouvant en solliciter la communication.



Il en résulte en outre que le secret professionnel s'impose de manière absolue au notaire qui ne peut en être délié par l'autorité judiciaire que pour la seule délivrance des expéditions et la connaissance des actes qu'il a établis.



Le notaire ne peut en effet être délié du secret professionnel que dans les hypothèses strictement énumérées par la loi , à savoir dans l'intérêt de l'administration fiscale ou dans l'intérêt de l'exécution des décisions de justice, la Cour de cassation précisant que le droit à la preuve découlant de l' article 6 de la Convention européenne de droits de l'homme ne peut faire échec à l'intangibilité du secret professionnel du notaire qui n'en est délié que par la loi soit qu'elle impose soit qu'elle autorise la révélation du secret (Civ.1, 4 juin 2014, n°12-21.244).



Il est admis que le secret professionnel couvre tout ce qui est venu à la connaissance du notaire dans l'exercice de ses fonctions et qu'il est général et absolu dès lors que les informations ont été obtenues à l'occasion de son activité, qu'il s'agisse de sa mission d'authentificateur ou de l'exercice de ses autres activités accessoires.



En l'espèce, Mme [I] établit, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté, qu'elle a qualité d'ayant-droit de son ex-époux, M. [U], décédé le [Date décès 2] 2009, en raison de la donation au dernier vivant à son bénéfice, laquelle n'a pas été révoquée.



Mme [I] sollicite la communication des actes de vente intervenus avec la participation de Me [P] postérieurement au décès de son ex-époux :




d'une maison sise [Adresse 18] [Localité 10] cadastrée section AR n° [Cadastre 5] [Adresse 14] ;

de parcelles de terre sises à [Localité 17] (Vendée) cadastrées :


- section AR n°[Cadastre 11] [Adresse 15] ;

- section AR n° [Cadastre 12] [Adresse 15] ;

- section AR n°[Cadastre 3] [Adresse 15] ;

- section AR n°[Cadastre 4] [Adresse 15] ;




un appartement sis à [Localité 16] [Adresse 9] ;

de l'acte de cession des parts sociales de la société civile immobilière Paul Raffard dont le siège est à [Localité 8] [Adresse 13].




Il est constant que Mme [I] est étrangère à ces actes notariés de vente établis par la SCP [P] mais il est tout aussi constant que ces actes ont été consentis postérieurement au décès de M.[U], de sorte que lui-même ne peut y avoir été partie.



Mme [I] n'a donc pas qualité d'ayant-droit d'une partie à ces actes.



Le secret professionnel auquel est tenu le notaire lui est donc valablement opposable conformément à l'article 23 de la loi du 25 ventôse An XI, les exceptions prévues par ce texte ne concernant que les informations nécessaires à la mise en oeuvre du droit d'enregistrement et à la publication de certains actes.



Or, en l'espèce, Mme [I] ne désigne aucun acte précis, et procède en réalité à une demande d'information générale. En effet, les dispositions de l'article 23 de la loi du 25 ventôse en ce qu'elles prévoient une exception au secret professionnel s'entendent strictement et ne peuvent concerner que des actes instrumentés, sans s'étendre aux pièces ou informations en sa possession.



C'est donc à juste titre que le premier juge a rejeté la demande formulée par Mme [I], dans la mesure où l'appelante ne démontre pas que sa demande porte spécifiquement sur des actes instrumentés par la SCP [P] et dont elle aurait la charge de conserver les minutes en application des dispositions de l'article 26 du décret du 26 novembre 1971, la SCP notariale contestant fermement au surplus être intervenue aux actes cités.



Il sera également relevé que les informations ne sont pas sollicitées dans le but pour Mme [I] de poursuivre la SCP [P] en responsabilité à ce stade.



En effet, sa demande ne tend qu'à connaître les conditions des ventes alléguées pour établir, en vue d'un futur procès au fond, la preuve de ce qu'elle aurait été évincée de ces opérations, ce, en fraude de ses droits.



Aussi légitime que puisse être le droit de Mme [I] à établir la preuve de son préjudice, sa demande de communication d'information se heurte ainsi à l'intangibilité du secret professionnel du notaire évoqué plus haut.



Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté l'appelante de sa demande dirigée contre la SCP [P].



L'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.



Partie perdante, Mme [I] ne saurait par ailleurs prétendre à l'allocation de frais irrépétibles en appel. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel et verser à la SCP [P] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure en cause d'appel.



PAR CES MOTIFS



Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,



Y ajoutant,



Condamne Mme [I] aux dépens d'appel, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,



Condamne Mme [I] à payer à la SCP [P]-Lambert-Cagniart-Marchay- d'Escayrac- Forestier la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure en cause d'appel.



LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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