25 avril 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 22/00883

Chambre civile 1-3

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 64B



Chambre civile 1-3



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 25 AVRIL 2024



N° RG 22/00883



N° Portalis DBV3-V-B7G-VABB



AFFAIRE :



[V] [G]

...



C/



[S] [N]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Avril 2021 par le TJ de VERSAILLES

N° Chambre : 4

N° RG : 19/06964



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :









Me Aurélie BERNARD-PIOCHOT de l'AARPI ABC ASSOCIES







Me Emmanuel DESPORTES de la SCP BROCHARD & DESPORTES







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Monsieur [V] [G]

né le [Date naissance 5] 1958 à [Localité 10] (CAMBODGE)

de nationalité Cambodgienne

[Adresse 3]

[Localité 7]

Aide juridictionnelle Totale n° 2021/008618 du 07/01/2022



Madame [X] [O]

née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 6] (CAMBODGE)

de nationalité Cambodgienne

[Adresse 3]

[Localité 7]

Aide juridictionnelle Totale n° 2021/008617 du 07/01/2022



Représentant : Me Aurélie BERNARD-PIOCHOT de l'AARPI ABC ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 578



APPELANTS



****************





Monsieur [S] [N]

né le [Date naissance 4] 1937 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 11]



Représentant : Me Emmanuel DESPORTES de la SCP BROCHARD & DESPORTES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 243



INTIME





****************



Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 janvier 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence PERRET, Président, chargé du rapport et Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller.



Ces magistrat ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Florence PERRET, Président,

Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller

Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller



Greffier, lors des débats : Mme FOULON,






FAITS ET PROCEDURE :



En 2013, M. [V] [G] s'est tourné vers M. [S] [N] en tant que président de l'association SGES spécialisée dans l'action sociale ([Localité 11] Emplois Services), afin de requérir son aide pour son amie Mme [X] [O], dont le titre de séjour n'avait pas été renouvelé par décision de la préfecture alors qu'elle était en instance de divorce d'avec son mari français.



Cette association n'existe plus depuis le 30 septembre 2016.



M. [G] a exposé les faits à M. [N] qui les a reçus et aurait décidé de les aider en faisant valoir qu'il avait des relations.



Le 1er octobre 2014, le député [I] [Z] a adressé un courrier à la préfecture des Yvelines pour interpeller le Préfet sur la situation de Mme [O].



Depuis ce courrier, M. [G] et Mme [O] n'auraient eu aucune nouvelle de la part de M. [N] concernant les démarches pour le renouvellement du titre de séjour de Mme [O], alors même que le 26 juin 2014, ils ont adressé, à la demande de celui-ci, tous les documents nécessaires pour réaliser les démarches auprès de la préfecture.



Par acte d'huissier en date du 22 décembre 2019, M. [G] et Mme [O] ont assigné M. [N] devant le tribunal judiciaire de Versailles.



Par jugement du 30 avril 2021, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- déclaré irrecevable la demande formée par M. [G] et Mme [O] pour cause de prescription,

- rejeté la demande de M. [N] formée au titre d'une procédure abusive,

- condamné M. [G] et Mme [O] in solidum à payer à M. [N] une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [G] et Mme [O] in solidum aux dépens de l'instance,

- dit que les dépens seront recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.



Par acte du 11 février 2022, M. [G] et Mme [O] ont interjeté appel et prient la cour, par dernières écritures en date du 27 novembre 2023, de :

A titre principal,

- infirmer le jugement déféré,

Et statuant à nouveau,

- juger leur action dirigée à l'encontre de M. [N], recevable et bien fondée,

En conséquence,

- juger que M. [N] a eu un comportement fautif qui a eu pour effet de causer des préjudices à M. [G] et Mme [O],

- débouter M. [N] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [N] au paiement de la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la perte de chance et du préjudice moral subis par M. [G] et Mme [O],

- condamner M. [N] aux entiers dépens,

A titre subsidiaire,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [G] et Mme [O] à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par dernières écritures du 26 juillet 2022, M. [S] [N] prie la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de M. [G] et Mme [O],

En conséquence,

- débouter M. [G] et Mme [O] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,



A titre subsidiaire,

- débouter M. [G] et Mme [O] de toutes leurs demandes, fins et conclusions faute pour eux de démontrer la réalité d'une faute extra-contractuelle, d'un préjudice et l'existence d'un lien de causalité entre ce préjudice et la faute allégués,



En tout état de cause,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire reconventionnelle de M. [N],

En conséquence,

- condamner solidairement, à tout le moins in solidum, M. [G] et Mme [O] à payer à M. [N] la somme de 2 500 euros au titre du préjudice moral par lui subi du fait de la présente action abusive,

- confirmer le jugement en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens,

Y ajoutant,

- condamner solidairement, à tout le moins in solidum M. [G] et Mme [O] à payer chacun à M. [N] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement, à tout le moins in solidum, M. [G] et Mme [O] aux entiers dépens d'appel avec recouvrement direct, en application de l'article 699 du code de procédure civile.



La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 novembre 2023.




SUR QUOI :



Sur la prescription de l'action en responsabilité fondée sur l'ancien article 1382 du code civil (actuel article 1240) :



Le jugement déféré a retenu la prescription de l'action engagée par Mme [O] et M. [G] fondée sur la faute extra-contractuelle qu'aurait commise M. [N] à leur égard en fixant le point de départ du délai pour agir le 26 juin 2014 .



L'intimé fait valoir que son aide ne s'étant matérialisée que sous la forme d'un mot sur une carte de visite datée du 2 juin 2013 et les appelants ne s'étant manifestés que le 26 juillet 2019 par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception et par une assignation du 22 décembre 2019, le délai de l'article 2224 du code civil pour l'exercice des actions personnelles ou mobilières est dépassé .



Les appelants répondent qu'ils ont formulé de nombreuses relances après avoir fourni l'ensemble de leur dossier à l'intimé le 26 juin 2014 afin qu'il accomplisse les démarches auprès de la préfecture. Ils disent avoir voulu accompagner M. [S] [N] pour ce faire ce qu'il a refusé en assurant "se charger du dossier". Ce n'est qu'en allant se renseigner auprès de la mairie [Localité 7] le 5 mai 2017 qu'ils auraient appris que M. [S] [N] ne s'occupait plus de leur affaire depuis plus de quatre ans.

Ils demandent à la cour de retenir la date du dépôt de leurs demandes d'aide juridictionnelle comme point de départ du délai de prescription soit les 30 octobre 2018 et 1er avril 2019.



Sur ce,



Aux termes de l'article 2224 du code civil, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de prescription d'une durée de cinq ans est la date à laquelle le dommage se manifeste au titulaire du droit.



Les appelants reprochent à l'intimé un défaut de diligence dans la mission qu'en tant que responsable dans une association, il avait accepté d'accomplir afin d'aider Mme [O] à obtenir le renouvellement de son titre de séjour et lui font grief d'avoir abandonné le suivi du dossier sans le leur dire, faisant perdre à l'intéressée une chance d'obtenir ce titre.



S'agissant d'une abstention, il convient d'examiner les faits de façon à déterminer à quel moment les appelants ne pouvaient que savoir que l'intimé avait cessé d'apporter les soins qu'ils attendaient à l'exercice de l'action, à supposer que ce soit le cas, étant rappelé que la charge de la preuve de la prescription de l'action en responsabilité extra-contractuelle engagée à son encontre repose sur M. [S] [N].



Ce dernier demande à la cour de fixer le point de départ du délai le 2 juin 2013 date à laquelle, après les avoir reçus, il a confirmé sur une carte de visite un rendez-vous avec un prêtre et s'est engagé à contacter un député et un sénateur "pour appuyer [leur] demande."



S'agissant d'une faute tenant à une absence de diligences, les bénéficiaires de la promesse d'aide que l'intimé ne dénie pas complètement dans le principe, ne peuvent pas avoir constaté l'éventuelle inaction de M. [S] [N] dès leur première rencontre, non plus que le 25 juin 2014 où ils lui adressent un complément de dossier comprenant un certain nombre de pièces et une lettre manuscrite.



Les appelants pouvaient au contraire croire au soutien de M. [S] [N] dans la mesure où ils produisent la copie de quelques lignes écrites le 13 septembre 2016 par un certain M. [D] [C], "membre UFC Que choisir " attestant avoir reçu Mme [O] au point d'accès au droit de [Localité 11] pour l'informer d'une démarche engagée avec M. [N], "administrateur du Mas" pour son titre de séjour. Certes, l'identité de l'attestant n'est pas certifiée par la production d'une pièce d'identité comme le prévoit l'article 202 du code de procédure civile mais l'existence et le fait relaté ne sont pas remis en cause par l'intimé autrement que sur le plan purement formel.



Ayant assigné M. [S] [N] le 22 décembre 2019, les appelants ont agi dans le délai de l'article 2224 du code civil, leur action sera déclarée recevable et le jugement déféré sera infirmé sur ce point.



Sur le fond :



Les appelants font valoir :



-Pour Mme [O] :

- la perte de chance d'avoir fait appel du jugement du tribunal administratif de Versailles rejetant son recours contre le refus de renouvellement de son titre de séjour (et donc la perte de chance de voir ce refus de renouvellement annulé et le titre renouvelé) alors qu'elle avait obtenu l'aide juridictionnelle et la désignation d'un avocat pour l'exercer,

- la perte de chance de pouvoir travailler,

- une souffrance " morale et financière " en résultant.

Pour M. [G], la souffrance " morale et financière " de subir la situation de sa compagne alors qu'il est lui-même sans emploi.



La situation de Mme [O] au moment où elle a rencontré en 2013 M. [S] [N], était la suivante :

- le titre de séjour, dont elle disposait en tant qu'épouse de français et renouvelé d'année en année, avait expiré le 12 octobre 2011 (pièce 3 [G] + [O])

- en raison de la procédure de divorce engagée avec son époux et de l'absence de vie commune, la préfecture de [Localité 8], par un arrêté du 3 avril 2012, avait refusé de le lui renouveler (jugement annexé à la pièce 10 [G] + [O])

- cet arrêté avait été validé par un jugement du tribunal administratif de Paris du 14 septembre 2012 (jugement annexé à la pièce 10 [G] + [O])

- Mme [O] avait sollicité le 28 mars 2013 le bénéfice de l'aide juridictionnelle et l'avait obtenue de manière totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du TGI de Paris du 23 mai 2013 (pièce 11 [G] + [O]).



L'intimé en déduit de façon liminaire que l'association ne pouvait pas prendre en charge Mme [O] compte tenu de cette situation fixée judiciairement parlant alors qu'elle était une association d'insertion par le travail aidant les personnes en situation régulière et sans emploi (inscrites à Pôle Emploi).

Il estime n'avoir commis aucune faute .



Les appelants exposent essentiellement qu'ils ont cru aux assurances de M. [S] [N] selon lesquelles il prenait en charge le dossier de Mme [O] de sorte que cette dernière a même renoncé à faire appel du jugement administratif lui refusant le renouvellement de son titre de séjour.



De l'ensemble des pièces versées aux débats, il ressort que M. [S] [N] a signalé au député des Yvelines [I] [Z] la situation de Mme [O], puisque ce dernier a écrit au préfet des Yvelines une lettre de soutien en septembre 2014.



Plus rien ne vient après 2013 attester de quelconques échanges entre les parties au procès, ni de démarches accomplies par M. [S] [N] ni par les appelants auprès de ce dernier de sorte que conformément à ce que l'intimé indique, c'est l'existence même d'un quelconque engagement soit personnel soit ès qualités de président de l'association dépassant le signalement à son réseau qui fait défaut dans la démonstration de la faute que lui imputent Mme [O] et M. [G].



Dans la lettre que leur conseil adresse à M. [S] [N] le 26 juillet 2019 (puis encore le 1er octobre 2019 où elle fait des allusions tout à fait obscures pour la cour à différentes personnes et circonstances) , il est admis que :

- M. [S] [N] se serait engagé à faire jouer ses relations pour aider Mme [O], ce qui a été fait comme en témoigne la lettre écrite par M. [Z],

- M. [G] et Mme [O] n'auraient reçu que des assurances verbales de la part de M. [S] [N] lorsqu'il les aurait "croisés dans la rue". Cela ne saurait suffire pour établir un engagement précis de la part de l'intimé qu'il aurait violé en se gardant d'accomplir des démarchesspécifiques, entraînant en cela un préjudice dont l'existence est tout aussi hypothétique et non étayé.



Dès lors, les appelants doivent être déboutés de l'intégralité de leurs demandes.



Les dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance sont confirmées.



Il n'est pas inéquitable au vu de la situation des appelants de laisser à la charge de chacune des parties les frais engagés pour la présente procédure.



Mme [O] et M. [G] supporteront les dépens de l'instance d'appel avec recouvrement direct.



PAR CES MOTIFS



La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition,



Infirme le jugement en ce qu'il a accueilli l'exception de prescription de l'action,



Statuant à nouveau,



Déclare recevable l'action engagée par Mme [X] [O] et M. [V] [G] ,



Sur le fond, déboute Mme [X] [O] et M. [V] [G] de l'ensemble de leurs demandes ,



Confirme les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance,



Y ajoutant,



Déboute M. [S] [N] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne in solidum Mme [X] [O] et M. [V] [G] aux dépens d'appel avec recouvrement direct selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.







- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame F. PERRET, Président et par Madame K. FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le Greffier, Le Président,

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.