25 avril 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 24/02447

Chambre civile 1-7

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE VERSAILLES

Chambre civile 1-7



Code nac : 14C









N° RG 24/02447 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WPGW



( Décret n°2011-846 du 18 juillet 2011, Article L3211-12-4 du Code de la Santé publique)

















Copies délivrées le :



à :



Mme [R]



Me BOURREE



Hop. DE [Localité 4]



Hop. [5]



M. [P]



Min. Public









ORDONNANCE





Le 25 Avril 2024



prononcé par mise à disposition au greffe,



Nous Madame Juliette LANÇON, conseiller à la cour d'appel de Versailles, déléguée par ordonnance de monsieur le premier président pour statuer en matière d'hospitalisation sous contrainte (décret n°2011-846 du 18 juillet 2011), assistée de Madame Rosanna VALETTE greffier, avons rendu l'ordonnance suivante :



ENTRE :



Madame [L] [R]

actuellement hospitalisée à l'établissement [5]

non comparante (non auditionnable), représentée par Me Delphine BOURREE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 582, commis d'office



APPELANTE



ET :



LE DIRECTEUR DE L' HOPITAL DE [Localité 4]

non représenté



LE DIRECTEUR DE L'ETABLISSEMENT [5] A [Localité 7]

non représenté



Monsieur [Y] [P], tiers

[Adresse 1]

[Localité 2]

non comparant, non représenté



INTIMES



ET COMME PARTIE JOINTE :



LE PROCUREUR GENERAL DE LA COUR D'APPEL DE VERSAILLES

pris en la personne de madame Corinne MOREAU, avocat général, non présente



A l'audience publique du 24 Avril 2024 où nous étions Madame Juliette LANÇON assistée de Madame Julie FRIDEY, greffier placé, avons indiqué que notre ordonnance serait rendue ce jour;


















EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE





Madame [L] [R], née le 13 février 2006 à [Localité 3] fait l'objet depuis le 4 avril 2024 d'une mesure de soins psychiatriques, sous la forme d'une hospitalisation complète, au centre hospitalier [6] de [Localité 4], sur décision du directeur d'établissement, en application des dispositions de l'article L. 3212-3 du code de la santé publique, en urgence et à la demande d'un tiers, en la personne de Monsieur [Y] [P], compagnon de la s'ur aînée de Madame [L] [R].



Le 9 avril 2024, Monsieur le directeur du centre hospitalier de [Localité 4] a saisi le juge des libertés et de la détention afin qu'il soit saisi conformément aux dispositions des articles L. 3211-12-1 et suivants du code de la santé publique.



Le 10 avril 2024, madame [L] [R] a été transférée dans le service nutrition à l'hôpital [5].



Par ordonnance du 11 avril 2024, le juge des libertés et de la détention de Pontoise a ordonné le maintien de la mesure de soins psychiatriques sous forme d'hospitalisation complète.



Appel a été interjeté le 17 avril 2024 par Madame [L] [R].



Madame [L] [R], l'établissement hospitalier de [Localité 4], l'établissement [5] de [Localité 7] et Monsieur [Y] [P] ont été convoqués en vue de l'audience.



Le procureur général représenté par Corinne MOREAU, avocate générale, a visé cette procédure par écrit le 19 avril 2024, avis versé aux débats.



L'audience s'est tenue le 26 avril 2024 en audience publique.



A l'audience, bien que régulièrement convoqués, Madame [L] [R], le centre hospitalier de [Localité 4], l'établissement [5] de [Localité 7] et Monsieur [Y] [P] n'ont pas comparu, un certificat de non auditionnabilité était versé aux débats du docteur [W] du 23 avril 2024 indiquant : « patiente de 18 ans souffrant d'un trouble des conduites alimentaires sévère évoluant depuis 6 ans du fait de crises de boulimie avec conduites de purges par vomissements provoqués entraînant un état de dénutrition majeur (IMC

Elle a été hospitalisée deux fois sur de courtes durées en service de pédopsychiatrie et qui se sont terminées par des sorties contre avis médical.

Ce jour la patiente est calme, de bon contact. Elle présente un état de mal boulimique avec des cravings intenses, une impulsivité et une intolérance à la frustration ayant entraîné des comportements de mise en danger pour elle-même et pour autrui (tentative de prise de nourriture dans la chambre d'autres patients malgré une information claire et détaillée que l'alimentation orale prise de manière incontrôlée risque d'entrainer une décompensation métabolique devant son état de dénutrition, de plus mise en danger sur le plan infectieux des autres patients de l'unité en état de dénutrition majeure avec un système immunitaire défaillant en entrant dans leurs chambres, hétéro-agressivité envers les soignants). Elle présente un discours superficiel, une ambivalence aux soins importante, ainsi qu'une banalisation quant à la gravité de sa pathologie, des troubles du jugement et de la perte de contrôle avec mise en danger que celle-ci entraîne lors des moments de crise. Son état la met dans l'impossibilité de consentir de manière éclairée aux soins.

Son état nécessite la poursuite de l'hospitalisation temps plein, en délégation de soins, en service de nutrition clinique spécialisé dans la prise en charge des dénutritions sévères.

De plus la poursuite d'une renutrition par voie entérale exclusive (par sonde naso-gastrique) de façon continue en journée et sous surveillance médicale est encore indispensable.

Par conséquent Mme [R] n'est actuellement pas en état de venir assister à l'audience prévue le 24 avril (risque d'hypoglycémie et de cytolyse hépatique du fait de l'interruption alors de la nutrition entérale, risque d'accentuation du craving intense avec risque très élevé de fugue, pour se procurer de la nourriture et pour interrompre les soins).

A ce jour, l'état clinique de la patiente ne permet pas qu'elle soit entendue par le Premier Président de la Cour d'Appel (audience prévue le 24/04/2024) ».



Le conseil de Madame [L] [R] a soulevé des irrégularités relatives à l'absence de qualité à agir du tiers demandeur à l'hospitalisation et à la notification tardive de la décision d'admission et des droits y afférents. Elle a renoncé à l'irrégularité relative au défaut d'information de la commission départementale des soins psychiatriques, la pièce ayant été versée aux débats.



L'affaire a été mise en délibéré.






MOTIFS DE LA DECISION





Sur la recevabilité de l'appel



L'appel a été interjeté dans les délais légaux et il est motivé. Il doit être déclaré recevable.



Sur les irrégularités soulevées



Sur l'absence de qualité à agir du tiers demandeur à l'hospitalisation



En vertu de l'article L.3212-1 II 1° du code de la santé publique, le directeur de l'établissement prononce la décision d'admission lorsqu'il a été saisi d'une demande présentée par un membre de la famille du malade ou par une personne justifiant de l'existence de relations avec le malade antérieures à la demande de soins et lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celui-ci, à l'exclusion des personnels soignants exerçant dans l'établissement prenant en charge la personne malade. Lorsqu'il remplit les conditions prévues au présent alinéa, le tuteur ou le curateur d'un majeur protégé peut faire une demande de soins pour celui-ci.



En l'espèce, le directeur a été saisi par Monsieur [Y] [P], compagnon de la s'ur de la victime. Si cette personne n'est pas membre de la famille de la malade, il n'en demeure pas moins que la qualité de tiers à agir est entendue largement, le législateur n'ayant pas voulu restreindre la liste des tiers susceptibles de demander l'hospitalisation et ce dans l'intérêt des malades qui sont incapables de donner leur consentement du fait de leur état. Le tiers n'a pas à démontrer qu'il est bien le compagnon de la s'ur de la victime ou quelles relations il entretient avec la victime en plus. Il doit régulariser une demande dans les conditions légales avec la copie de sa pièce d'identité, ce qui est le cas au dossier. Le moyen sera écarté.



Sur la notification tardive de la décision d'admission et des droits y afférents



L'article L. 3211-3 du code de la santé publique dispose qu' ' avant chaque décision prononçant le maintien des soins en application des articles L. 3212-4, L. 3212-7 et L. 3213-4 ou définissant la forme de la prise en charge en application des articles L. 3211-12-5, L. 3212-4, L. 3213-1 et L. 3213-3, la personne faisant l'objet de soins psychiatriques est, dans la mesure où son état le permet, informée de ce projet de décision et mise à même de faire valoir ses observations, par tout moyen et de manière appropriée à cet état.

En outre, toute personne faisant l'objet de soins psychiatriques en application des chapitres II et III du présent titre ou de l'article 706-135 du code de procédure pénale est informée :

a) Le plus rapidement possible et d'une manière appropriée à son état, de la décision d'admission et de chacune des décisions mentionnées au deuxième alinéa du présent article, ainsi que des raisons qui les motivent ;

b) Dès l'admission ou aussitôt que son état le permet et, par la suite, à sa demande et après chacune des décisions mentionnées au même deuxième alinéa, de sa situation juridique, de ses droits, des voies de recours qui lui sont ouvertes et des garanties qui lui sont offertes en application de l'article L. 3211-12-1. (...) '.



Les dispositions combinées des articles L. 3211-3 et L. 3216-1 du code de la santé publique imposent une information du patient sur la décision le concernant, les raisons qui motivent cette décision, le plus rapidement possible, d'une manière appropriée à son état et dans la mesure où son état le permet. Le défaut d'information du patient sur sa situation affecte la régularité de la procédure et peut, si l'irrégularité constatée porte atteinte à ses droits, entraîner la mainlevée de la mesure.



Par ailleurs, l'irrégularité affectant une décision administrative n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet, conformément aux dispositions de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique, cette atteinte devant être appréciée in concreto.



En l'espèce, la décision d'admission a été prise le 4 avril 2024 n'a été notifiée que le 6 avril 2024, notification que Madame [L] [R] a signée. Néanmoins, le médecin rédacteur du certificat médical des 24 heures du 5 avril 2024 indique bien que la patiente a été informée de la décision de maintien des soins psychiatriques et a été mis à même de faire ses observations. De plus, Madame [L] [R] a été admise à l'hôpital suite à une rupture de son traitement depuis plusieurs mois avec une anorexie mentale très importante, un déni de troubles, un contacte fermé, un refus d'être transféré dans un établissement spécialisé, le tout entraînant uns importante mise en danger pour elle-même. Le grief n'étant donc pas caractérisé, le moyen sera rejeté.



Sur le fond



Aux termes du I de l'article L. 3212-1 du code de la santé publique, « une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d'un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 du même code que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1° Ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ; 2° Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d'une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° de l'article L. 3211-2-1 ».



Le certificat médical initial du 4 avril 2024 et les certificats suivants des 5, 7 et 8 avril 2024 détaillent avec précision les troubles dont souffre Madame [L] [R]. Le certificat du 19 avril 2024 du docteur [D] indique que : « Mme [R] reste dans un état de dénutrition sévère. Elle pèse actuellement 37.9kg (IMC 15 kg/m2).

Cet état somatique est la conséquence d'un trouble des conduites alimentaires qui évolue depuis 6 ans et pour lequel elle n'a jamais pu bénéficier de prise en charge dans un service spécialisé jusqu'à présent (deux hospitalisations brèves en service de pédopsychiatrie par le passé, se terminant à chaque fois par des sorties contre-avis médical ; une hospitalisation en clinique l'année derrière avec reprise rapide des crises de boulimie).

Actuellement la patiente est en état de mal boulimique. Elle présente un craving particulièrement intense qui est à l'origine de troubles du comportement et de nombreuses transgressions, même en service spécialisé de nutrition clinique, qui peuvent mettre en danger la patiente (risque de décompensation sur le plan métabolique) ainsi que d'autres personnes (la patiente tente de se procurer de la nourriture à tout prix et fait irruption dans les chambres des autres patients ; à noter également un geste hétéroagressif envers un infirmier).

Mme [R] est très intolérante aux frustrations, incapable de contenir des réactions très impulsives (même si elle peut exprimer, du moins parfois, des regrets au décours). Elle se contredit régulièrement et est incapable actuellement de s'engager de façon stable dans un quelconque projet, avec une prise de conscience très fluctuante de ses troubles, du caractère inapproprié de ses comportements et des mises en danger potentielles qui en résultent.

Son état nécessite la poursuite de l'hospitalisation temps plein, en délégation de soins, en service de nutrition clinique spécialisé dans la prise en charge des dénutritions sévères.

La poursuite d'une renutrition par voie entérale exclusive (par sonde naso-gastrique) de façon continue sur 24h et sous surveillance médicale reste indispensable.

Par conséquent Mme [R] n'est actuellement pas en état de venir assister à l'audience prévue le 24 avril (risque d'hypoglycémie et de cytolyse hépatique du fait de l'interruption alors de la nutrition entérale, risque d'accentuation du craving intense avec risque très élevé de fugue, pour se procurer de la nourriture et pour interrompre les soins) ».



Elle conclut que les soins psychiatriques doivent être maintenus à temps complet.



Cet avis médical est suffisamment précis pour justifier les restrictions à l'exercice des libertés individuelles de Madame [L] [R], qui demeurent adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en 'uvre du traitement requis, l'intéressé se trouvant dans l'impossibilité de consentir aux soins en raison des troubles décrits, son état nécessitant des soins assortis d'une surveillance constante. L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a maintenu Madame [L] [R] en hospitalisation complète.



















PAR CES MOTIFS





Statuant par ordonnance réputée contradictoire,



Déclarons l'appel de Madame [L] [R] recevable,



Confirmons l'ordonnance entreprise,



Y ajoutant,



Rejetons les irrégularités soulevées,



Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Rosanna VALETTE, greffier, Juliette LANÇON, conseiller,

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