25 avril 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 22/02831

Chambre sociale 4-5

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80B



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 25 AVRIL 2024



N° RG 22/02831

N° Portalis DBV3-V-B7G-VNQX



AFFAIRE :



[P] [J]





C/

S.A.S. IQVIA OPERATIONS FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Juillet 2022 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de BOULOGNE- BILLANCOURT

N° Section : AD

N° RG : 21/00845



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELARL LBBA



Me Marine GICQUEL







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Monsieur [P] [J]

né le 22 Décembre 1958 à [Localité 4] (Arménie)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Thomas HOLLANDE de la SELARL LBBA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P469 - Substitué par Me Salomé RAFFOUL DE COMARMOND, avocat au barreau de PARIS







APPELANT

****************





S.A.S. IQVIA OPERATIONS FRANCE

N° SIRET : 347 93 9 4 15

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentant : Me Marine GICQUEL, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R235 - Substitué par Me Anne CARDON, avocat au barreau de PARIS







INTIMEE

****************







Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,



Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB,














EXPOSE DES FAITS ET DU LITIGE :



À compter du 1er février 2002, M. [J] a été embauché selon contrat de travail à durée indéterminée par la société CEGEDIM.



En 2015, le contrat de travail a été transféré à la société IQVIA Opérations France SAS par le biais des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail.



M. [J] a occupé en dernier lieu un emploi de responsable des procédures.



La convention collective applicable à la relation de travail est la convention nationale collective des bureaux d'études techniques, cabinet d'ingénieurs conseils, sociétés de conseils dite Syntec.



À compter de septembre 2017, M. [J] a été élu membre titulaire du comité d'entreprise et délégué du personnel titulaire.



Le 23 mai 2019, un plan de sauvegarde de l'emploi a été mis en place au sein de la société IQVIA Opérations France SAS par le biais d'un accord collectif.



Par lettre du 4 septembre 2019, la société IQVIA Opérations France SAS a convoqué M. [J] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique.



Par lettre du 20 novembre 2019, la société IQVIA Opérations France SAS a demandé une autorisation de licenciement de M. [J] auprès de l'inspecteur du travail.



En décembre 2019, les mandats de représentation du personnel de M. [J] ont pris fin.



Le 25 janvier 2020, l'inspecteur du travail a rendu une décision implicite de rejet de l'autorisation de licenciement de M. [J].



Par lettre du 29 juillet 2020, la société IQVIA Opérations France SAS a notifié à M. [J] son licenciement pour motif économique.



Après accomplissement d'un congé de reclassement, le contrat de travail de M. [J] a été rompu le 8 août 2022.



Le 23 juin 2021, M. [J] saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt pour contester la validité, et subsidiairement le bien-fondé, de son licenciement et demander la condamnation de la société IQVIA Opérations France SAS à lui payer une indemnité pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.



Par un jugement du 12 juillet 2022, le conseil de prud'hommes a :

- rejeté l'exception d'incompétence formée par la société IQVIA Opérations France SAS et s'est déclaré compétent pour traiter du litige ;

- dit que le licenciement de M. [J] n'a pas de caractère discriminatoire ;

- dit que le licenciement de M. [J] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- débouté M. [J] de ses demandes ;

- débouté la société IQVIA Opérations France SAS de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis les dépens à la charge de M. [J].



Le 22 septembre 2022, M. [J] a interjeté appel de ce jugement.



Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 16 juin 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, M. [J] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence formée par la société IQVIA Opérations France SAS et a débouté cette dernière de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de :

- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société IQVIA Opérations France SAS à lui payer une somme de 103 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société IQVIA Opérations France SAS à lui remettre les documents sociaux (certificat de travail, attestation pour Pôle emploi, bulletins de salaire, solde de tout compte) conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par document à compter du dixième jour suivant la notification et se réserver le droit de liquider l'astreinte ;

- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal avec anatocisme à compter de l'arrêt à intervenir s'agissant des sommes de nature indemnitaire ;

- condamner la société IQVIA Opérations France SAS aux dépens ;

- condamner la société IQVIA Opérations France SAS à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la société IQVIA Opérations France SAS de l'ensemble de ses demandes.



Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 20 mars 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société IQVIA Opérations France SAS demande à la cour de :

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur le litige, a dit le licenciement fondé sur une cause réelle sérieuse, a débouté M. [J] de ses demandes, a statué sur les dépens ;

- à titre subsidiaire, limiter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 20 055,21 euros brut ;

- infirmer le jugement sur le débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau condamner M. [J] à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



Une ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 6 février 2024.




MOTIFS DE LA DÉCISION :



Sur la validité du licenciement et l'indemnité pour licenciement nul :



En l'espèce, il ressort du dispositif des conclusions de M. [J] qu'il demande l'infirmation du jugement sur ces points mais ne soulève aucun moyen ni ne formule plus aucune prétention à ce titre en appel dans la partie discussion de ses écritures.



Il y a donc lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il déboute M. [J] de sa demande de nullité du licenciement et de sa demande d'indemnité à ce titre.



Sur le bien-fondé du licenciement et l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :



M. [J] soutient que son licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse notamment en ce qu'il a été prononcé à l'expiration de la période légale de protection en étant motivé par les mêmes motifs économiques que ceux invoqués devant l'inspecteur du travail et qui ont donné lieu à une décision de refus d'autorisation du licenciement. Il réclame en conséquence l'allocation d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.



La société IQVIA Opérations France SAS soutient que le licenciement de M. [J] est fondé sur une cause réelle et sérieuse et qu'il convient de débouter M. [J] de sa demande d'indemnité à ce titre aux motifs, notamment, que :

- l'inspecteur du travail ayant rendu une décision implicite de rejet et ne s'étant ainsi pas prononcé sur les motifs de la demande d'autorisation administrative de licenciement, elle pouvait procéder au licenciement ;

- les menaces sur la compétitivité invoquées dans la demande d'autorisation de licenciement ont perduré après la décision de rejet implicite et existaient toujours au moment du licenciement.



À titre subsidiaire, la société IQVIA Opérations France SAS soutient que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être limitée à la somme de 20 055,21 euros brut.



Le licenciement prononcé à l'expiration de la période légale de protection ne peut être motivé par des faits invoqués devant l'autorité administrative et qui ont donné lieu à une décision de refus d'autorisation du licenciement





En l'espèce, comme le soutient à juste titre M. [J], il ressort des pièces versées aux débats que les motifs de licenciement économique, tirés de la sauvegarde de la compétitivité, invoqués par la société IQVIA Opérations France SAS dans sa demande d'autorisation de licenciement de M. [J] faite auprès de l'inspecteur du travail le 20 novembre 2019, laquelle a fait l'objet d'une décision implicite de rejet, sont parfaitement identiques à ceux mentionnés ensuite dans la lettre de licenciement du 29 juillet 2020.



La société IQVIA Opérations France SAS ne pouvait donc fonder le licenciement sur des motifs ayant abouti à un rejet d'autorisation par l'inspecteur du travail, la circonstance qu'il s'agit d'une décision implicite étant indifférente.



La société IQVIA Opérations France SAS ne peut par ailleurs invoquer à l'instance le fait que 'la forte dégradation des résultats' invoquée dans la demande d'autorisation de licenciement s'est poursuivie au cours du premier semestre 2020, avec un repli du chiffre d'affaires passant de 79,4 millions d'euros au 1er semestre 2019 à 72,8 millions d'euros au premier semestre 2020, et existait au moment du licenciement, puisqu'elle n'a pas motivé sa lettre de licenciement sur ces faits.



Il s'ensuit que le licenciement pour motif économique de M. [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse contrairement ce qu'ont estimé les premiers juges.



En conséquence, M. [J] est fondé à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant compris entre trois et quatorze mois et demi de salaire brut, eu égard à son ancienneté de 18 années complètes. Eu égard à sa rémunération moyenne mensuelle s'élevant au vu des pièces versées à 6 685,07 euros brut, à son âge (né en 1958), à sa situation postérieure au licenciement (congé de reclassement jusqu'en août 2022 puis chômage et prise de sa retraite en septembre 2022), il y a lieu d'allouer à l'intéressé une somme de 60 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera ainsi infirmé sur ce point.



Sur les intérêts légaux et la capitalisation :



Il y lieu de rappeler que la somme allouée ci-dessus à M. [J] porte intérêts légaux à compter du présent arrêt.



La capitalisation des intérêts légaux sera en outre ordonnée dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1343-2 du code civil.



Le jugement attaqué sera infirmé sur ces points.



Sur la remise de documents sociaux sous astreinte :



Eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'ordonner à la société IQVIA Opérations France SAS de remettre à M. [J] un certificat de travail, une attestation pour France Travail, un bulletin de salaire récapitulatif et un solde de tout compte conformes au présent arrêt. Le jugement sera infirmé sur ce point.



En revanche, le débouté de la demande d'astreinte à ce titre sera confirmé, une telle mesure n'étant pas nécessaire.



Sur le remboursement des indemnités de chômage par l'employeur :



En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société IQVIA Opérations France SAS aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [J] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités.



Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :



Eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points. La société IQVIA Opérations France SAS sera condamnée à payer à M. [J] une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant par arrêt contradictoire,



Infirme le jugement attaqué en ce qu'il statue sur le bien-fondé du licenciement, l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les intérêts légaux et la capitalisation, la remise de documents sociaux, l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,



Confirme le jugement attaqué pour le surplus,



Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,



Dit que le licenciement de M. [P] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,



Condamne la société IQVIA Opérations France SAS à payer à M. [P] [J] une somme de 60 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts légaux à compter du présent arrêt,



Ordonne la capitalisation des intérêts légaux dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1343-2 du code civil,



Ordonne à la société IQVIA Opérations France SAS de remettre à M. [P] [J] un certificat de travail, une attestation pour France Travail, un bulletin de salaire récapitulatif et un solde de tout compte conformes au présent arrêt,



Ordonne le remboursement par la société IQVIA Opérations France SAS aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [P] [J] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités,



Condamne la société IQVIA Opérations France SAS à payer à M. [P] [J] une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel,



Déboute les parties du surplus de leurs demandes,



Condamne la société IQVIA Opérations France SAS aux dépens de première instance et d'appel.



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président, et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le greffier, Le président,

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.