27/02/2024
Chambre criminelle - mardi 27 février 2024 - pourvoi n° 23-81.061
Au cours d’une enquête pénale, la géolocalisation en temps réel d’un téléphone portable est une mesure d’investigation qui doit faire l’objet d’un contrôle préalable par un juge ou par une entité administrative indépendante.
Cette exigence ne pèse pas sur la géolocalisation d’un véhicule, qui peut être ordonnée, pour une durée limitée, par le procureur de la République.
Avertissement : Le communiqué n’a pas vocation à exposer dans son intégralité la teneur des arrêts rendus. Il tend à présenter de façon synthétique leurs apports juridiques principaux.
Repère : La géolocalisation en temps réel
La géolocalisation en temps réel consiste à recueillir en direct des données numériques permettant de localiser et suivre leur émetteur (ex. : voiture, téléphone portable).
La géolocalisation d’un téléphone portable implique le recueil de données de localisation auprès d’un opérateur de téléphonie mobile.
La géolocalisation d’un véhicule s’opère grâce à la pose d’un matériel technique de suivi, dit « balise ».
La loi prévoit que le procureur de la République peut autoriser une telle mesure, pour une durée limitée, dans le cadre des enquêtes sur les crimes et certains délits. La mesure peut être prolongée sur autorisation d’un juge.
Les faits et la procédure
Au cours d’une enquête, un procureur de la République a autorisé la géolocalisation en temps réel des véhicules et du téléphone d’une personne.
Les données recueillies ont mis en lumière la possible implication de cette personne dans une collecte d’argent liée au trafic de drogue.
Devant la cour d’appel, la personne, mise en examen, a soutenu que les mesures de géolocalisation dont elle avait fait l’objet devaient être annulées car elles n’avaient pas été soumises à un contrôle préalable tel que l’exige le droit de l’Union européenne.
La cour d’appel a rejeté la demande d’annulation des mesures de géolocalisation : elle a estimé que le droit de l’Union européenne n’exige pas de contrôle préalable lorsque la mesure est autorisée par un procureur de la République.
Repère : Les garanties offertes par le droit de l’Union européenne
La directive européenne « Vie privée et communications électroniques » de 2002 porte sur l’utilisation des services de communication électronique accessibles au public. C’est sur la base de cette directive que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a établi des garanties.
La CJUE considère que l’accès à des données de localisation détenues par les opérateurs des services de communication électronique accessibles au public porte atteinte à la vie privée.
Dès lors, la CJUE juge que l’accès en temps réel à ces données de localisation doit être autorisé par une juridiction ou une entité administrative indépendante qui vérifiera si la mesure demandée est proportionnée et strictement nécessaire aux enjeux de la procédure en cours.
La décision de la Cour de cassation
La géolocalisation en temps réel d’un véhicule
En matière de géolocalisation en temps réel, la CJUE a défini ses exigences sur la base d’une directive qui porte uniquement sur les services de communication électronique accessibles au public.
Or, la géolocalisation d’un véhicule ne mobilise pas ces services.
La Cour de cassation en déduit qu’une telle mesure de géolocalisation en temps réel d’un véhicule n’a pas à faire l’objet d’un contrôle préalable par un juge ou une entité administrative indépendante.
Elle peut être autorisée directement par un procureur de la République, pour une durée limitée, conformément aux règles du droit français.
Par conséquent, la décision de la cour d’appel est confirmée en ce qu’elle rejetait la demande d’annulation des mesures de géolocalisation des véhicules.
La géolocalisation en temps réel d'un téléphone portable
La géolocalisation d’un téléphone portable implique l’accès à des données de localisation via les opérateurs de téléphonie mobile, c’est-à-dire des services de communication électronique accessibles au public. Les règles qui l’encadrent doivent donc respecter le droit de l’Union européenne.
Le code de procédure pénale autorise le procureur de la République à ordonner la géolocalisation d’un téléphone et permet aux enquêteurs d’accéder en temps réel aux données de localisation de l’appareil, sans prévoir de contrôle préalable de ces mesures par une juridiction ou une entité administrative indépendante.
La Cour de cassation constate que cette règle de droit français est contraire au droit de l’Union européenne.
La Cour de cassation précise toutefois qu’il ne sera possible d’annuler une mesure de géolocalisation de téléphone que si l’irrégularité constatée a occasionné un préjudice à la personne mise en examen.
Ce préjudice est établi lorsque le recours à la géolocalisation a eu lieu dans le cadre d’une procédure qui ne relevait pas de la lutte contre la criminalité grave ou que cette mesure n’était pas strictement nécessaire aux besoins de l’enquête.
La Cour de cassation décline ainsi les principes énoncés dans ses décisions du 12 juillet 2022 relatives à l’accès aux données de connexion conservées par les opérateurs téléphoniques (lire le communiqué).
Par conséquent, la décision de la cour d’appel est censurée en ce qu’elle rejetait la demande d’annulation des mesures de géolocalisation en temps réels du téléphone portable. En effet, la cour d’appel n’a pas vérifié si le recours à la géolocalisation avait eu lieu dans le cadre d’une procédure relevant de la lutte contre la criminalité grave et s’il était strictement nécessaire aux besoins de l’enquête.
L’affaire est renvoyée devant une nouvelle cour d’appel afin qu’elle dise si les conditions sont remplies pour que ces actes d’investigation soient ou non annulés.
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